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41,6 6 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

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Nous ne pouvons conclure sans rappeler que la philosophie peut prêter la main à la religion dans l’aspiration de celle-ci, non seulement à la vérité de son contenu dogmatique, mais encore à la véracité du sentiment qui l’anime. Sur aucun domaine de la création spirituelle cette véracité n’est plus gravement menacée que sur celui de la religion. Toute religion authentique prétend élever l’homme au-dessus de ce qui est purement humain, fonder en lui un être nouveau, lui ouvrir un monde nouveau ; elle ne peut faire cela sans une rupture de continuité avec l’état primitif, sans renoncement et sacrifice. Mais il est ici un danger perpétuellement menaçant c’est que cette transformation ne soit pas assez énergique, ou qu’elle n’ait été accomplie qu’en apparence, et que les forces spirituelles qui élèvent l’homme soient mises au service de l’égoïsme humain, de ses ..intérêts et de ses passions. C’est ainsi que l’individu ne demande Isouvent a la religion pas autre chose que la satisfaction illimitée de ses vœux égoïstes ; pour l’instinct vulgaire, avec son besoin de jouir, le divin n’est qu’un moyen pour s’affirmer indéfiniment contre tous les obtacles. Mais ce qui est plus dangereux pour la substance de la religion que ces aberrations individuelles, c’est ce qui se présente lorsqu’en elle se développe l’égoïsme de l’humanité tout entière, lorsque la relation au divin n’est traitée que comme un moyen en

vue du bien-être de la société humaine. Alors apparaît un utilitarisme

religieux, qui est peut-être la forme la plus funeste de tout l’utilitarisme. Car si tout utilitarisme exerce une action destructive, dans la mesure où, au lieu d’élever l’homme à la hauteur du bien et du vrai en soi, il rabaisse la vie spirituelle au niveau des intérêts humains, la destruction doit être d’autant plus profonde que ce renversement s’attaque aux dernières profondeurs de la vie et empoisonne les motifs les plus intimes de l’action. Le principal danger que présente un tel utilitarisme consiste en ceci qu’il peut s’arrêter aux formes et aux hauteurs les plus diverses, et s’insinuer par là chez l’homme, et même se dissimuler à sa propre conscience. Cette forme crue de l’utilitarisme, qui veut employer la religion comme instrument de domination sur les autres hommes, sans que l’on croie soi-même à la vérité de la religion professée, et de laquelle Condorcet a raison de dire « Toute religion qu’on se permet de défendre comme une croyance qu’il est utile de ! laisser au peuple, ne peut plus espérer qu’une agonie plus ou moins prolongée », cette forme trop crue n’est plus capable aujourd’hui de