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v. delbos. – Matière et mémoire. 3/73

la contiguïté ou de la ressemblance, entre une foule de souvenirs dont les titres sont égaux. Supposons au contraire que l’intelligence se meuve entre les plans extrêmes de la mémoire pure et de l’action ; nous savons que l’intérêt d’un être vivant est de saisir dans une situation présente ce qui ressemble à une situation antérieure, d’en rapprocher ce qui précède et surtout ce qui a suivi pour profiter de l’expérience acquise les associations par ressemblance et par contiguïté sont donc les seules qui répondent à cet intérêt. Mais dans le plan de l’action ces associations sont fondues et automatiquement réalisées ; des situations analogues ont fini, en effet, par lier entre eux certains mouvements de notre corps, et dès lors la même réaction plus ou moins machinale qui détermine le retour de ces mouvements contigus dégage de la situation qui les provoque sa ressemblance avec des situations passées. Dans le plan de la mémoire pure tous les souvenirs diffèrent de la perception actuelle et ne peuvent s’en rapprocher que par l’évocation spontanée de quelque ressemblance inventée par l’esprit ; entre eux, à cause de leur individualité essentielle, c’est plutôt par la contiguïté qu’ils sont liés. La mémoire oscille entre ces deux plans et le choix qu’elle opère de telle contiguïté ou de telle ressemblance parmi beaucoup d’autres dépend du degré d’inclinaison qu’elle a, soit vers l’action présente, soit vers les purs souvenirs. Mais, en tout cas, elle n’est pas essentiellement composée d’états primitivement distincts entre lesquels s’établirait après coup un rapprochement ; elle n’est pas le résultat d’associations qui se font elle est en elle-même une et indivisée, et ce qu’il faut expliquer en elle, c’est plutôt l’œuvre de dissociation apparente par laquelle elle détache d’elle tel ou tel souvenir, ou, pour mieux dire, l’opération par laquelle elle lie à la situation présente tel ou tel de ses aspects.

Cette critique de l’associationnisme met nettement en relief le principe de la méthode psychologique de M. Bergson. Cette méthode pourrait être brièvement définie une analyse contre l’analyse. La plupart des philosophes et des psychologues usent de l’analyse à contre-sens ; ils l’emploient à résoudre ce qui dans le réel est irrésoluble, à savoir le réel lui-même dans son existence naturelle et dans la solidarité essentielle de ses états. Ils prétendent retrouver avec elle l’élément ultime qui, par multiplication et recomposition, restituera la réalité. Ils oublient qu’il ne saurait y avoir, à parler exactement, d’existence élémentaire, que l’existence n’est pas un élé-