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370 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

détermination de l’avenir immédiat, devient tout à fait fausse si, s’appuyant sur la notion du temps abstrait, elle fait de mon présent quelque chose d’insaisissable ou d’irréel. Mon présent, c’est mon attitude vis-à-vis de l’avenir immédiat, déterminée ou suggérée soit par les perceptions immédiatement reçues, soit par les images transformées en sensations naissantes. Ces images, à mesure qu’elles se préparent à collaborer à mon action, se détachent du passé et n’en participent que par le souvenir dont elles émanent. Mon présent consiste donc dans la conscience que j’ai de mon corps ; il est sensori-moteur. Mon passé reste là où il est, impuissant et par là même inconscient.

C’est parce que le passé est inconscient que les psychologues conçoivent qu’il n’existe pas en lui-même, qu’il est le simple effet d’une projection imaginative de données actuelles. La notion d’états psychologiques inconscients nous répugne, parce que nous avons commencé par faire de la conscience la propriété constitutive des états psychologiques. Comment dès lors ces états pourraient-ils exister du moment qu’ils ont cessé d’être conscients ? Mais là encore se glisse l’erreur qui vicie, comme nous l’avons vu, les théories de la perception extérieure. Il est aussi inexact de définir les états psychologiques par la conscience que nous en prenons que de définir la réalité du monde matériel par la perception que nous en subissons. Et il n’y a pas plus de raisons pour supposer que le passé, une fois perçu, s’efface qu’il n’y en a pour supposer que les objets extérieurs sont abolis dès qu’ils ne sont plus représentés. Ainsi en analysant la vie de l’esprit, M. Bergson prétend la défendre contre le subjectivisme dont elle serait d’autant plus aisément la dupe qu’elle croit mieux, en l’acceptant, consacrer ses droits. Le réel de la vie mentale ne se ramène pas à la forme sous laquelle nous le saisissons, car cette forme est la forme de l’action elle exprime ce qui est, non pas tel qu’il est, mais dans la mesure où il nous est utile, ce qui va agir ou ce qui agit en nous. Pour M. Bergson, et nous trouvons là une des idées fondamentales de son livre, un des préjugés les plus faux, dus à l’influence de la métaphysique intellectualiste, est celui qui consiste à vouloir définir l’existence en fonction d’autre chose qu’elle-même, qu’il s’agisse de l’existence des choses ou de l’existence de l’esprit. L’existence est une donnée naturelle, qui se laisse reconnaître à certains caractères, mais qui n’est pas garantie et n’a pas besoin d’être garantie par eux ; ces caractères sont, d’une part,