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J.-J. GOURD. LES TROIS DIALECTIQUES. 299 j

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on a beaucoup parlé après Lucrèce, cette sorte de rassérénement, de reprise de confiance, devant le cataclysme apparent de la nature. Mais il ne s’ensuit pas que ces divers sentiments entrent à aucun degré dans le plaisir du sublime, ni qu’à l’origine de celui-ci il faille mettre la pensée d’un ordre caché. D’ailleurs, comment expliquer par une coordination aussi discrète, aussi effacée, un sentiment aussi intense ? A supposer même que la pensée de l’ordre contribuât à le former, encore serait-elle bien loin de suffire. En définitive, il faudrait toujours recourir à l’incoordonné lui-même. Oui, c’est parce que nous en avons une vision puissante, exceptionnellement puissante, que nous sommes ébranlés, et qu’un sentiment de plaisir aussi intense que rapide se produit en nous. Impossible par conséquent d’établir comparativement la valeur du sublime. C’est un bien, assurément, par l’intense activité qu’il suppose, mais un bien hors cadres, un bien libre. C’est une revanche du plaisir, de sa souveraine ] et grandiose liberté, contre la règle à laquelle on cherche à l’assujettir. j

Lorsque nous éprouvons le sentiment du sublime, nous nous plaçons en dehors des coordinations esthétiques ; lorsque nous éprouvons des sentiments plus spécifiquement religieux, comme l’espérance et le pardon divin, nous nous plaçons en dehors dès coordinations scientifiques, et en particulier des coordinations de causalité. Les mêmes circonstances peuvent d’ailleurs nous faire éprouver également les uns et les autres. Et, dans tous les cas, c’est une intense vision de l’absolu qui nous domine. L’espérance, mais n’est-ce pas une sorte de protestation contre les uniformités implacables étalées par la science physique ou psychique ? N’est-ce pas la foi dans l’imprévu heureux, dans la possibilité de déjouer un jour les j fatalités d’une dure destinée ? N’est-ce pas l’affirmation de l’insondable, de l’insoumis, de l’absolu ? La consolation appelée pardon divin dans la langue religieuse n’est pas autre chose non plus. Au point de vue moral, comment la justifier ? Ou bien la morale est sans loi, ou bien elle est tenue de proclamer l’inexorable correspondance des punitions et des fautes, l’inexorable aboutissement des faiblesses à des faiblesses plus profondes encore. La loi morale représente l’uniformité dans le monde pratique, comme la loi scientifique représente l’uniformité dans le monde théorique. Si donc nous pouvons, sans déchoir, détourner un instant nos regards des désordres de notre volonté, c’est que l’absolu a frappé fortement