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298 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE- ET DE MORALE.

place importante, non seulement dans la morale du bonheur, mais encore dans la morale du bien et dans celle de l’obligation, au sein du bien strictement moral lui-même. Ne pouvant les condamner, la dialectique pratique prescrira-t-elle d’y renoncer par mesure de prudence, et en faveur de biens plus urgents ? La recherche des biens supérieurs demande, en effet, des précautions de ce genre contre des mécomptes toujours possibles. Mais ce n’est point la prudence qui caractérise le sacrifice. On dénature le pardon et la résignation, dès qu’on les réduit à un calcul. Nous voilà donc de nouveau obligés d’en chercher la justification dans le hors la loi religieux. – Au nom de la liberté pratique, déclarerons-nous encore, qu’il soit permis de dire je pardonne, parce que je le veux ; je m’humilie, je me résigne, parce que je le veux ; et je le veux, pour la seule beauté que je trouve à ce sacrifice.

A ces hors la loi de l’ordre pratique, la dialectique fera correspondre, dans l’ordre théorique, les actes intellectuels d’où résultent des sentiments comme celui du sublime. « Le sentiment du sublime, a dit liant, semble discordant avec nos facultés de juger et d’imaginer, et même être d’autant plus sublime qu’il semble faire plus de violence à l’imagination. » On est généralement de l’avis de Kant, et on a "raison. Mais n’en résulte-t-il pas qu’il faut placer le sentiment du sublime en dehors des coordinations intellectuelles, et l’attribuer à une sorte de conscience très puissante de l’absolu ? Au premierregard, il est vrai, on serait tenté d’admettre que le sublime supposeun certain ordre dans son objet. Par exemple, dans les scènes les plus violentes de l’Océan, nous ne perdons pas longtemps de vue les lois qui président à l’irrégularité dont notre imagination est frappée et, dans le tragique que nous offre l’histoire, nous éprouverions bien vite un pénible sentiment d’efFroi, si nous ne savions pas remonter, de la violation partielle de l’ordre, aux régularités de l’ensemble. Mais est-ce la pensée de cet ordre qui produit le sublime ? La conclusion n’est pas forcée. Ce qu’on doit dire, c’est que rien ne s’isole absolument dans les manifestations de l’esprit. De même que les plaisirs organiques vont avec les plaisirs intellectuels, de même les divers sentiments intellectuels s’accompagnent ordinairement les uns les autres. Le sentiment du sublime est fugitif avant lui, et après lui, la pensée saisit des lois, fait œuvre de science, et il en résulte, non seulement le sentiment scientifique, mais quelquefois encore, lorsque notre cœur a faibli, ce sentiment tout égoïste dont