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296 REVUE, DE métaphysique ET DE morale.

autres hommes ? Mais, ou bien il ne rentre pas dans la loi, ou bien tout le monde doit y être tenu ; et, si tout le monde y est tenu, tout le monde y perd. Qu’on ne dise pas non plus que, s’il entraîne une perte pour la vie présente, il peut offrir un gain pour la vie à venir. On entend sans doute par là que nous pourrons en être récompensés plus tard. Mais pourquoi en serions-nous récompensés, puisque c’est justement sa valeur qui est ici en question ? Il n’y a pas lieu de parler de récompense, tant qu’on n’est pas convaincu du caractère méritoire d’une action. L’embarras disparaît, les explications deviennent superflues, dès qu’on admet la légitimité d’un hors la loi à côté des prescriptions réglementaires. Au notn de la liberté pratique, et quand il y a effort, puissance, activité généreuse, l’urgence peut être sacritiée à la supériorité ; au nom de la liberté pratique, de sublimes téméraires peuvent renoncer à tout, pour la seule joie d’y renoncer. Ils font disparaître jusqu’à la condition de tout bien, mais en vertu d’une activité qui se suffit à elle-même et domine toute ~[ évaluation. C’est peut-être à propos du bien des autres hommes que leur décision a été prise ; mais ce n’est pas l’étendue de ce bien qui mesure la valeur de leur décision. Ils suivent leur inspiration, et leur inspiration est puissante c’est assez.

Transportons-nous à l’autre extrémité de l’échelle morale voici encore des sacrifices qui ne deviennent définitifs qu’à la condition d’être des hors la loi. Ainsi, celui qu’on appelle « le pardon des offenses ». Pardonner, ce n’est pas seulement renoncer à la légitime défense, qui constitue pourtant quelquefois un moyen de sécurité sociale, et par conséquent ne saurait rester indifférente à la loi pratique, c’est aussi extirper de son esprit tout désir de vengeance, de vengeance indirecte aussi bien que de vengeance directe, de vengeance par les choses elles-mêmes comme par notre propre main ; plus encore, c’est dissiper et prévenir tous les souvenirs pénibles de l’offense, c’est faire que ce qui a été n’ait pas été. Et il y a une manière d’y parvenir, et il y a un degré à y parvenir, pour lesquels ni les explications déterministes, ni l’ironie de Socrate, ni même les considérations altruistes, ne suffisent. Il ne faut rien moins que l’indifférence à la valeur de notre moi, que le sacrifice de notre propre personne. C’est un sacrifice analogue que réclame la résignation. Écoutons les mystiques ils nous déclareront n’avoir d’autre désir que d’absorber, d’anéantir leur moi dans l’objet de leur amour supra-terrestre ; ils nous parleront d’extase, c’est-à-dire d’une élévation au-dessus de