292 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
l’activité de la dialectique religieuse. Naturellement, ce qui est au-dessous de la loi garde, en dépit de toutes les distinctions, quelque analogie avec ce qui est au-dessus ; l’anarchie est du même ordre que la liberté, et le « hors la loi » religieux fait penser encore à celui de l’erreur et du mal. Cependant on sent aussi entre eux une distance infranchissable. Devant le premier, le respect s’impose ; et l’admiration éclate d’elle-même. Nous sommes saisis par quelque chose de grand et d’insondable à la fois, qui nous semble réaliser dans sa plénitude l’essence de la liberté. Cela ne se commande pas, cela ne se mesure pas, mais cela se glorifie et F s’adore.
Mais peut-on compter sur ces incoordonnés exceptionnels, et faut-il renoncer à tous les autres ? Ici commence l’œuvre proprement dite de la dialectique religieuse. On aurait tort de la confondre avec cette attitude passive, quelquefois même négative, qu’on appelle de nos jours « agnosticisme ». Non seulement notre dialectique pose j expressément son objet, et le justifie, mais encore elle tâche d’en accroître la puissance. Disons qu’elle est, elle aussi, une œuvre de `’, ruse, un artifice, pour tirer le meilleur parti d’une réalité jugée insuffisante. Et accompagnons cette définition des remarques avec J lesquelles nous avons annoncé les autres dialectiques à savoir que cette œuvre de ruse est progressive, qu’elle n’a d’autre critère qu’ellemême, et qu’elle offre un sérieux inconvénient en échange de ses avantages. A mesure que la religion progresse, elle s’éloigne de la conscience primitive, et le réalisme qui oserait confondre l’une avec l’autre aboutirait, comme le réalisme scientifique ou moral, aux plus graves difficultés. C’est ainsi que la dialectique religieuse est vraiment une dialectique et qu’elle ressemble sur quelques points importants à ses devancières. Seulement, son objet étant non seulement différent, mais opposé, son procédé sera opposé aussi. ïl s’agit pour } elle de communiquer une puissance directe à quelque chose d’inco-ordonnable donc, au lieu d’étendre la conscience, elle la concen.trera ; au lieu de faciliter le passage d’un terme à un autre, elle le coupera ; au lieu de rapprocher, elle isolera. Comme le joaillier qui dégage sa pierre précieuse de tout entourage qui pourrait en atténuer l’éclat, et la dispose de telle façon qu’elle lance librement tous ses feux ; comme le musicien qui brise tout à coup une marche harmonique pour faire retentir au plus profond de notre être un accord imprévu, la dialectique religieuse créera une sorte [de soli-
