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238 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

est à peine besoin de remarquer que cet objet d’expérience n’a rien de commun avec une chose en soi, ni avec un être quelconque, et qu’il n’est qu’un ensemble de sensations organisées et objectivées par l’entendement ; de sorte que dire que nos sensations dépendent des choses revient au fond à dire simplement qu’elles dépendent les unes des autres D’autre part, est-il bien vrai que nos sensations ne dépendent pas de nous ? Directement, non ; mais n’avons-nous pas une foule de moyens pour supprimer les sensations qui nous déplaisent ou nous gênent ? Si une lumière nous éblouit, nous n’avons qu’à détourner la tête ou à fermer les yeux ; si le feu nous brûle, nous n’avons qu’à nous en éloigner ou à interposer un écran ; et ainsi de suite. Nous sommes donc libres, dans une certaine mesure, d’éprouver ou de ne pas éprouver telle sensation. Mais “ ce dont nous ne sommes pas maîtres, c’est de faire que la lumière n’éclaire pas et que le feu ne chauffe pas, alors même que nous ne percevons ni lumière ni chaleur ; ce qui veut dire, en langage idéaliste, que si nous pouvons supprimer les sensations que nous recevons d’un objet d’expérience, nous ne pouvons supprimer cet objet lui-même, en tant que possibilité permanente de sensations. En définitive, ce qui ne dépend pas de nous, ce n’est pas la sensation comme telle, c’est l’objet d’expérience, c’est-à-dire l’enchaînement de nos sensations tel qu’il résulte des lois naturelles ; ce que nous ne pouvons pas changer, ce n’est pas l’ordre de nos perceptions, c’est l’ordre du monde. Nous pouvons nous arranger pour ne pas sentir la chaleur du feu ; mais nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que le feu est chaud 2 ; de sorte qu’en dernière analyse, ce qui nous résiste dans la nature, ce n’est pas l’aveugle matière ou l’obscure chose en soi, mais la nécessité intelligible issue de notre raison. On ne peut donc tirer de l’ordre du monde aucune conclusion réaliste, aucune induction transcendante car cet ordre est entièrement relatif aux formes subjectives de notre connaissance, et n’im1. Si nous voulions rechercher l’origine psychologique du réalisme, nous la trouverions peut-être dans la confusion de l’objet d’expérience avec la chose en soi, corrélative de l’illusion qui, nous faisant localiser : notre conscience dans notre corps, nous amène à considérer les autres corps comme extérieurs à notre conscience. La prétendue action des choses en soi sur notre conscience ne serait que la transposition métaphysique de l’action des objets d’expérience sur notre corps et peut-être est-ce en vertu de cette confusion que l’on considère la sensibilité comme une réceptivité.

. Ces lignes étaient écrites quand nous avons retrouvé les mêmes idées, exprimées sous une forme analogue, dans l’article si intéressant de M.Parodi sur l’Idéalisme de Th.tiill Gree»,ap. Revue de Métaphysique’ et de Morale, t. IV, p. 804.