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CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

Ariste. — Il l’est nécessairement.

Eudoxe. — L’être, étant unique et indivisible, est donc un ?

Ariste. — Comment le nier ?

Eudoxe. — Eh bien donc, munis de cette proposition comme d’une règle inflexible, examinons de quelle manière la pensée, se heurtant à la multiplicité et au changement, pourra affirmer que la multiplicité est et que le changement est. La pensée éprouve une multiplicité ?

Ariste. — Oui.

Eudoxe. — Mais elle affirme l’être ?

Ariste. — Elle l’affirme nécessairement.

Eudoxe. — Et l’être est nécessairement un ?

Ariste. — Il est un nécessairement.

Eudoxe. — La pensée affirmera donc nécessairement que la multiplicité des apparences recouvre un être un ?

Ariste. — Il faudra bien qu’elle l’affirme.

Eudoxe. — Et n’est-ce point là un principe.

Ariste. — Je reconnais que c’est un principe, mais je ne crois point l’avoir jamais rencontré.

Eudoxe. — Eh quoi, Ariste, n’avez-vous jamais entendu parler du principe de substance, d’après lequel les chimistes d’autrefois posèrent un seul corps, les physiciens la force et tous la matière ?

Ariste. — Je reconnais maintenant ce principe.

Eudoxe. — Peut-être, Ariste, prend-il encore d’autres déguisements. Aristote ne disait-il point qu’il ne fallait pas multiplier les principes ?

Ariste. — Oui.

Eudoxe. — Et qu’ainsi, de deux explications d’ailleurs équivalentes, la plus simple était la meilleure ?

Ariste. — Oui.

Eudoxe. — Et n’est-ce point là ce que l’on appelle le principe d’économie ?

Ariste. — C’est ce principe lui-même, Eudoxe.

Eudoxe. — Ne vous apparaît-il pas clairement, Ariste, que ce nouveau principe n’est qu’une manière nouvelle de dire que l’être est un ?

Ariste. — Comment cela ?

Eudoxe. — Si l’être est un, approcher de l’unité, ne sera-ce pas aussi approcher de la vérité, si du moins la vérité, c’est ce qui est ?

Ariste. — Vous avez raison.