mais bien le relief lui-même, c’est-à-dire à connaître immédiatement par la vue que les parties de l’objet sont inégalement distantes par rapport à mon toucher. Or la disposition du stéréoscope a pour effet de m’amener à superposer l’une à l’autre deux images d’un même objet qui diffèrent l’une de l’autre comme deux images visuelles simultanées de cet objet ; d’où il résulte que, jugeant par la force de l’habitude que ce résultat ne peut provenir que d’un relief réel, je vois ce relief.
Eudoxe. — C’est fort bien ; mais comment pouvez-vous n’être pas étonné de cette explication ?
Ariste. — N’est-elle donc pas entièrement satisfaisante ?
Eudoxe. — Je ne le conteste point, mais elle risque fort de ruiner d’autres idées beaucoup moins claires et beaucoup moins certaines, et auxquelles la plupart des hommes sont plus attachés qu’à celle-là.
Ariste. — Que voulez-vous dire, Eudoxe ?
Eudoxe. — Je veux dire que toutes nos idées tiennent les unes aux autres et dépendent les unes des autres de telle manière qu’on ne peut en modifier une sans être amené de proche en proche à modifier toutes les autres, comme il arrive dans les maisons très anciennes qu’une seule pierre arrachée fait s’écrouler en fort peu de temps ; et comme dit le poète
Une maille rompue emporta tout l’ouvrage.
Examinons donc si la maison est solide et préparons nous à la reconstruire depuis les fondements, s’il le faut.
Ariste. — Je ne vois pas où vous voulez me conduire.
Eudoxe. — Constater un fait n’est-ce pas s’assurer qu’il est réel ?
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — C’est-à-dire qu’il apparaît ?
Ariste. — Comment cela ?
Eudoxe. — Je veux dire s’assurer qu’on le perçoit.
Ariste. — Oui, constater un fait c’est bien s’assurer qu’on le perçoit.
Eudoxe. — Et lorsqu’on s’est assuré qu’on le perçoit, alors seulement on affirme qu’il existe ?
Ariste. — Alors seulement.
Eudoxe. — Et c’est bien pour cela que la constatation d’un fait vaut contre l’opinion que nous avons de sa réalité ?