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CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

j’ai été accoutumé, au cours de mes études philosophiques, à déterminer d’abord la méthode que je devais suivre, afin de ne pas m’aventurer au hasard et sans guide dans des régions inexplorées ; et je croyais suivre en cela l’exemple de Descartes.

Eudoxe. — Descartes avait déjà fait mille découvertes quand il s’avisa de traiter de la méthode, et je suis assuré que ceux qui n’ont encore rien découvert ni dans les Sciences ni dans la Philosophie, ne verront, dans les quatre fameuses règles, que des mots dépourvus de sens ; aussi n’ai-je pas constaté sans surprise, au temps où je lisais les ouvrages que l’on destine à la jeunesse, que l’on y traitait avant tout de la méthode et c’est ce que font aussi la plupart de ceux qui se proposent d’étudier l’organisation et le progrès des sociétés. Et cela me paraît aussi ridicule que si quelqu’un voulait savoir nager avant d’entrer dans l’eau.

Ariste. — On peut cependant apprendre, avant d’entrer dans l’eau, quelque chose de l’art de nager.

Eudoxe. — Sans doute, parce qu’il existe des hommes qui savent nager dans l’eau et qui sont capables d’instruire les autres ; mais si l’on veut apprendre à nager tout seul et avec ses propres lumières, il faudra bien d’abord entrer dans l’eau, et découvrir peu à peu, par tâtonnement, l’art de nager. De même c’est en pénétrant avec courage au milieu des questions particulières que nous découvrirons peu à peu, et comme en tâtonnant, les principes et peut-être enfin le principe des principes. N’avez-vous jamais été étonné par cette illusion que l’on éprouve lorsque, regardant deux images planes à travers les prismes de l’instrument appelé stéréoscope, on croit voir le relief et la profondeur ?

Ariste. — J’y ai réfléchi, mais je n’en ai pas été étonné, car l’explication de cette illusion m’avait paru très simple.

Eudoxe. — Je vois avec plaisir que si vous êtes porté avec trop d’ardeur peut-être aux recherches abstraites, du moins vous n’ignorez pas les questions les plus concrètes et les plus simples. Examinons donc cette explication.

Ariste. — Lorsqu’un objet présente un relief, les deux images que nous en connaissons par chacun de nos deux yeux ne sont pas identiques, ni par suite superposables ; cette propriété que possèdent deux images d’un même objet de ne pouvoir être exactement superposées devient naturellement pour moi le signe du relief, en sorte que j’arrive à voir non plus deux images inexactement superposées,