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̃140 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Ces considérations ont quelque analogie avec celles que nous avons opposées à l’empirisme. Nous rencontrons aussi une difficulté qui nous fait penser à celle du premier terme. La dialectique pratique aurait besoin de rattacher le bonheur, au moins le bonheur relatif dont elle se contente, à une condition d’ou dépendraient toutes les autres, et cette condition lui échappe continuellement. En vain étend-elle le domaine de notre causalité pratique ; en vain, pour parler avec Epictéte, fait-elle passer progressivement les choses qui ne dépendent pas de nous dans la catégorie de celles qui dépendent de nous ; en vain bénéficiet-elle des réactions qui vont de la moralité à ses conditions et qui mettent indirectement au pouvoir -de l’homme vertueux un cercle toujours agrandi de circonstances favorables, toujours un monde « amoral » subsiste en dehors de nos prises. Après l’aisance matérielle, c’est la santé qui nous échappe ; après la santé du corps, c’est celle de l’esprit ; après notre -propre santé, c’est celle des êtres qui nous sont chers ; et tant d’autres choses plus intimes, et plus importantes même, dont l’incertitude semble entraîner au premier coup d’œil celle de notre bonheur tout, entier. Non, sans doute, cela n’est pas. Gardons-nous de faire de cette difficulté le scandale de l’histoire. Ce qui est acquis est acquis. Tout inachevée qu’elle soit, la coordination conserve ses hautes qualités. Dans la même épreuve, une vie morale reste préférable à une vie qui ne l’est pas. Et l’on pourrait ajouter que, dans l’acceptation même de ce qui ne dépend pas de nous, il y a une source de fortes joies. Mais ce sont des joies héroïques, en dehors de la coordination, et pour lesquelles tout le monde ne se sent pas de taille. Au point de vue strictement moral, la prétention d’Epicure de faire descendre du ciel sur la terre les « bienheureux est exorbitante., Le sage reste toujours exposé à de profondes désagrégations dans ; son faisceau de volitions, à de terribles interruptions dans la série

de ses plaisirs, et la dialectique ne saurait s’y montrer indifférente.

A difficultés analogues, expédient analogue. La question de l’ensemble, ici encore, a fait son apparition. On nous dit la totalité des plaisirs et des douleurs est ’au pouvoir d’un dispensateur souverain qui fixe avec précision notre conduite, et en sanctionne avec exactitude les résultats. Pourquoi donc nous perdre en supputations vagues et sans cesse contredites de ce qui est moralement préférable ? ?’ Pourquoi aussi nous inquiéter de ce qui ne dépend pas de nous ? Le