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G. NOEL. LA LOGIQUE DE HEGEL. 75"

à croire que les corps existent réellement hors de nous et sont bien ce qu’ils nous paraissent être au moins dans leur essence, l’étendue. Toutefois ils font reposer cette croyance sur une révélation présumée, naturelle ou’ surnaturelle. Berkeley, plus conséquent, nie purement et simplement la réalité des corps. Leibnitz enfin, par sa théorie des monades et de l’harmonie préétablie, donne à la question une solution plus profonde que le réalisme cartésien et plus large que l’idéalisme subjectif. Il approche de bien près l’idéalisme absolu, La faiblesse de son système consiste dans son point de départ réaliste. C’est en quelque sorte de biais qu’il entre dans l’idéalisme, et ses plus originales théories prennent l’aspect d’expédients ingénieux et compliqués, au lieu d’apparaître comme les conséquences naturelles d’un principe nouveau explicitement proclamé. La question est reprise par Kant, mais d’un tout autre point de vue. On l’avait jusqu’à lui surtout envisagée sous son aspect ontologique ; on s’était demandé en quoi consiste la réalité des corps ; plus modeste, au moins en apparence, il se demande simplement que pouvons-nous savoir des corps ?

Sa réponse est connue. Nous ne pouvons rien savoir des corps considérés en eux-mêmes. Nous ne percevons réellement que la façon dont ils nous affectent. Non seulement les qualités secondes des cartésiens, mais leurs qualités premières, l’étendue et ses accidents, ne peuvent être que des, apparences subjectives. Seules ’ces apparences constituent l’objet de notre connaissance empirique, en tant que leur cours est soumis à des lois immuables qui rendent possibles la science et la prévision. D’ailleurs ces lois elles-mêmes, loin de nous rien apprendre sur la nature des choses en soi, n’expriment que les conditions subjectives de la connaissance. Mais si nous ne savons rien des choses en soi, si nous n’en pouvons rien affirmer, cela ne prouve pas qu’elles ne soient rien. Notre science, bornée par sa nature au monde des phénomènes ou des apparences réglées, reste muette en face de l’inaccessible au-delà. Notre vie actuelle s’écoule tout entière au sein d’un univers phénoménal, et nousmêmes ne sommes que phénomènes. L’auteur en effet étend à la conscience, assimilée par lui à un sens interne, sa théorie du sens externe. Nous n’avons. de notre propre moi qu’une connaissance indirecte et médiate et lui aussi se double d’un moi en soi ou moi noumène aussi inconnaissable que les autres choses en soi. Ainsi se trouve établi le réalisme agnosticiste.