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apparaît lorsqu’on le recompose en syllogisme. De ce point de vue subjectif, il est donc impossible d’arriver à la certitude en partant du doute absolu.

Mais le cogito est susceptible de recevoir une autre interprétation. On doit y voir, croyons-nous, l’expression d’une loi psychologique, en échange de l’affirmation d’une vérité certaine et évidente. Penser est une action transitive plutôt qu’un état ; on ne pense pas sans penser quelque chose, et c’est l’objet pensé qui fonde la démonstration de l’être parce qu’étant pensé il ne l’est que sous le couvert de la forme d’existence. Le cogito s’analyserait donc ainsi :’je pense synonyme de « il y a des choses » – je me pense, donc je suis une chose existante. Cogito renferme me cogito, qui équivaut à sum. Telle est l’interprétation psychologique. Elle paraît plus conforme au développement historique des fonctions de la connaissance. Les hommes n’ont, en effet, pas attendu que la réflexion mit en lumière l’acte de la pensée pour affirmer avec certitude l’être ; ils l’ont affirmé dès qu’ils ont conçu des objets auxquels ils ont donné des noms, et c’est dans le complément du verbe penser-, non dans le sujet que gît l’idée de l’être. Ne voyons-nous pas les enfants, avant d’apprendre l’usage des pronoms, parler d’eux-mêmes à la troisième personne et se désigner par leur nom ? Ils n’en ont pas moins la notion de leur moi comme d’une chose existante, d’un être réel mais, entre cette notion claire et la masse obscure des sensations subjectives et des affections, un rapport intime s’est établi peu à peu, du genre de ceux qui relient les images et les percepts aux idées concrètes, particu-> Iiëres et singulières.

Se replier sur soi-même, c’est-à-dire interroger le sens intime et la conscience intuitive que l’on a de sa vie et de sa propre activité, affective ou volitive, perceptive ou intellectuelle, ne procure au philosophe aucun gage de certitude plus certaine que celle que contient implicitement la notion de n’importe quel objet du monde extérieur. Car si l’on demande une preuve quelconque à un fait de’ conscience, si on l’érige en critérium de vérité, on le pense à titre d’idée et on le dénature en lui conférant l’existence logique. Mon effort volontaire, ma conscience morale, mon aspiration vers le bien, l’idée de l’infini et du parfait, ou, finalement, ma pensée même conçue abstraitement ne sont pas des bases plus solides d’une onto-’ logie que l’idée concrète la plus simple et la plus commune. Cette assertion banale « il y a des choses » exprime donc la réalité de