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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

à la déformer pour l’y réduire, à la supprimer, si elle ne s’y réduit, ne serait-elle pas un vestige de cartésianisme, une survivance lointaine de la doctrine disparue ? Ce pourrait être tout simplement une disposition profonde et permanente de l’esprit français : mais alors ne faudrait-il pas dire que le cartésianisme est réellement l’expression philosophique de l’esprit français ?

Quoi qu’il en soit, nous voyons que les deux parties du système cartésien ont eu dans la société et dans la littérature des destinées différentes et inégales.

La doctrine a été pendant le xviie siècle un rempart contre le libertinage ; elle a aidé notre grande littérature classique à garder une apparence, et, dans une certaine mesure, des idées chrétiennes : elle a cessé d’imposer sa couleur à l’esprit public et aux œuvres littéraires à la fin du règne de Louis XIV.

La doctrine exprimait, mais en même temps palliait la méthode ; elle en était l’application, et elle en masquait la portée. Elle disparaît, quand précisément la méthode va régner souverainement.

Cette méthode, en littérature, a été neutralisée longtemps, ou tout au moins tempérée par un goût esthétique qui procédait de l’antiquité. Les grandes œuvres classiques du xviie siècle ne relèvent pas de Descartes pour tout ce qui est art, éloquence, poésie. Mais l’esprit cartésien triomphe dans la querelle des anciens et des modernes. Et l’on peut dire que, sauf certaines œuvres comme celles de Lesage qui continuent la tradition classique, sauf certains procédés de style et de composition qu’on applique mécaniquement par bienséance et préjugé, la littérature du xviiie siècle, dans son originalité propre, dans ses qualités fondamentales comme dans ses défauts essentiels, est une littérature cartésienne : pendant la dernière partie du siècle seulement, ce caractère ira s’atténuant par la réintégration de certains éléments esthétiques et sensibles dans l’œuvre littéraire, par le réveil des sentiments enthousiastes dans les cœurs, et par la diffusion dans les esprits d’une méthode sensualiste et inductive. Rousseau, Mlle de Lespinasse, Condillac, voilà les noms qui symbolisent la décroissance fatale de la pensée cartésienne. Le règne littéraire de Descartes se place ainsi de 1700 environ à 1750 ou 1760.

VII

Je n’ai point parlé de la valeur littéraire des écrits de Descartes : mais c’est qu’en vérité je ne sais si par là il a exercé une influence.