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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

application rigoureuse de la méthode cartésienne : car une foule de propositions y sont établies uniquement par l’autorité de l’Écriture, sans démonstration ni évidence rationnelles. Mais on peut admettre que tous les préceptes de l’Écriture tiennent dans la construction de Bossuet le rôle d’axiomes indiscutables, qui sont reçus comme certains en vertu du principe supérieur auquel toute sa pensée est soumise, l’autorité de la parole révélée.

La réalité intervient dansla chaîne des démonstrations pour fournir des figures concrètes qui aident à l’intelligence de la vérité abstraite. Lorsque cette réalité est un des éléments constitutifs de la monarchie française, elle est amenée surtout pour être autorisée et légitimée par son exacte concordance avec la nécessité logique que la démonstration a posée.

Lorsque, comme, il arrive souvent, cette réalité est empruntée à l’histoire des Juifs, elle a, en vertu de son origine, un caractère d’authenticité qui lui donne une valeur décisive d’exemple et de confirmation l’opération logique a été bien faite, puisque ses résultats coïncident avec la réalité la moins révocable en doute, et en fournissent l’explication[1].

Si Bossuet, qui fondait d’ailleurs sa certitude sur l’autorité de l’Église, n’a pas conçu qu’il pouvait ordonner cette vaste matière de la Politique autrement que par la méthode cartésienne, c’est bien une preuve de la façon dont cette méthode s’imposait à la fin du xviie siècle.

Mais le xviiie siècle nous en fournit un exemple plus complet, plus éclatant encore. La plus forte construction de doctrine qui se soit faite dans la première moitié du siècle appartient à la méthode de Descartes : c’est l’Esprit des lois de Montesquieu. Le fait, à ma connaissance, n’a pas encore été signalé. Et de ce qu’on ne l’a pas reconnu résulte tout ce que l’on a dit du désordre inexplicable de ce chef-d’œuvre[2]. J’ai cru longtemps aussi qu’il fallait renoncer à suivre le développement logique du livre, et que tout ce qu’il y avait à faire était d’essayer d’abord de retrouver les états successifs de la pensée de Montesquieu, aux diverses époques de sa vie, puis les grandes lignes et la direction principale de sa doctrine je me trompais.

  1. Voir notamment les articles 2 et 3 du livre I.
  2. Je suis de ceux qui ont le plus fortement affirmé ce désordre : je n’ai pas réussi à débrouiller le plan de l’Esprit des lois dans mon Histoire de la littérature française.