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G. LANSON.PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE ET LITTÉRATURE.

que leur culture intellectuelle ne leur fournissait pas les moyens de résoudre par une création originale. L’Arrêt Burlesque montre Boileau fermement attaché aux principes cartésiens, et disposé à considérer l’auteur du Discours de la Méthode comme celui qui a ramené ; la raison dans la philosophie. Le chapitre des Esprits forts n’est autre chose que le catéchisme philosophique d’un honnête homme qui ne pense pas par lui-même sur ces matières, et qui a lu Descartes.

Le moins marqué de cartésianisme parmi nos grands écrivains, est peut-être Racine : je n’aperçois en lui que de la pensée antique et de la pensée janséniste, rien qui se puisse rendre à Descartes avec quelque apparence de raison.

Mais il serait oiseux de nous attarder à évaluer la dette de chaque individu envers Descartes : demandons-nous ce qu’en général l’esprit et la littérature classiques ont reçu de lui, recherchons les formes universelles, les modes principaux, mais aussi les limites communes de son action.

III

Lorsque l’on s’efforce de définir la littérature du xviie siècle, on lui attribue communément ce caractère d’avoir été une littérature, chrétienne. La remarque est banale. Elle n’est vraie, et encore avec certaines restrictions, que pour la seconde partie du siècle. Rien, dans la première, ne l’autorise. Le libertinage ou l’indifférence dominent dans la société. Les principaux écrivains de l’époque précieuse, Malherbe le, premier, puis Théophile, Chapelain, Voiture, Sarrasin, Scarron, ne portent point de marque chrétienne Balzac et Corneille font seuls exception. Au théâtre, les sujets sacrés ne réussissent guère, et l’on sait que ce n’est pas la religion qui a sauvé Polyeucte.

Au contraire, dans la seconde moitié du siècle, la littérature prend une couleur chrétienne très apparente. Il semble que la religion soit au fond de tous les grands esprits et de toutes les grandes œuvres, de Pascal à Fénelon et de Mme de Sévigné à Saint-Simon. Les réfractaires sont en général ceux qui sont nés assez tôt pour respirer le libertinage de l’époque antérieure Retz et La Rochefoucauld, Molière et La Fontaine ; encore celui-ci fait-il une fin qui contredit son œuvre et venge le principe. Cette physionomie générale de la littérature s’explique par quelques causes faciles à saisir. D’abord, le même hasard qui, dans le siècle suivant, donnera tous les