Page:Revue de métaphysique et de morale, 1896.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
G. MILHAUD.la science rationnelle.

sions sensibles. Tous les éléments de la loi sont donc des représentations données, dans la confection desquelles notre activité créatrice et libre a le sentiment de n’être pour rien. Tout au plus pourrait-on dire qu’elle intervient pour circonscrire, dans le champ de la conscience, telles représentations qu’elle achève de déterminer en les isolant, en les considérant à part, en en faisant des choses auxquelles elle donne des noms. Mais chacune d’elles se dégage avec tant de netteté de la suite continue des idées ou des sensations qui défilent, pour ainsi dire, devant nous, qu’il n’y a pas lieu d’insister sur cette intervention personnelle de l’esprit. — La loi considérée est le type des inductions courantes dont sont faites les sciences où la théorie a peu de part.

DEUXIÈME EXEMPLE

« Le phosphore fond à la température de 44 degrés. » — Sans parler du fait de la fusion d’un solide, que nous pouvons considérer comme donné, demandons-nous ce que signifient ces mots « le phosphore » et « la température de 44 degrés ».

Faut-il voir dans « le phosphore » une chose donnée, une chose qui se présente, dans la nature ou dans le laboratoire du savant, avec les propriétés déterminées qu’énoncent et qu’énonceront à l’avenir tous les traités de chimie ? Si on s’en tient à cette vue, on ne saura jamais ce qu’est le phosphore, car la suite des propriétés qu’il manifestera est illimitée comme celle des circonstances où il se trouvera placé. Or le savant qui parle du « phosphore » est clairement compris de ceux à qui il s’adresse, et se comprend clairement lui-même la signification du mot ne comporte donc rien de vague ni d’inconnu. Et en effet ce qui est ainsi nommé se trouve caractérisé par un petit nombre de propriétés que le chimiste énoncerait avec précision. C’est donc qu’en somme il en a fait choix pour la définition du phosphore. — A-t-il, pour ce choix, obéi à quelque règle impérative ? Peut-on dire qu’il ne pouvait pas ne pas prendre, pour caractériser le phosphore, les propriétés qu’il a choisies ? Mais où trouver à cet égard quelque principe d’obligation absolue ? Est-ce une règle essentielle de la chimie d’envisager, par exemple, quelques propriétés physiques spéciales, couleur, odeur, densité, solubilité dans tel ou tel liquide ? Mais on a trouvé des variétés de phosphore (phosphore rouge, phosphore noir, etc.), différant, à tous ces points de vue, de ce qu’on nomme de préfé-