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« Vous voulez dire comme un pilon ! » affirma celui-ci qui avait longuement palpé la trompe de l’animal. Avant que le premier eût pu répliquer, le troisième, qui avait tenu entre ses mains une des oreilles du monstre, s’écria a son tour : « Vous avez bien mal vu, mes frères ; un éléphant est fait tout simplement comme l’instrument dont on se sert pour vanner le riz ! » Sur quoi, le quatrième aveugle prenant vivement la parole, accusa ses amis de maladresse, car, pour lui, qui n’avait pu saisir que la queue du colosse, un éléphant ne donnait l’idée que d’un gigantesque balai. Une violente querelle éclata aussitôt entre les quatre infortunés, et les personnes présentes eurent beaucoup de peine à les apaiser, à les réconcilier et à les mettre à même de se rendre compte de leur erreur.

Cette vieille fable indienne m’est revenue à la mémoire, Mesdames et Messieurs, quand, pour préparer cette conférence, j’ai voulu lire quelques-uns des travaux qui ont été publiés, en Europe, depuis quelques années, sur le Bouddhisme. Il semble que la plupart des écrivains n’aient eu en vue chacun qu’une partie restreinte de cette vaste synthèse et dédaignant tout le reste, n’aient jugé la doctrine tout entière que sur cet aperçu imparfait et d’après ses tendances personnelles ou ses idées préconçues. Pour l’un, le Bouddhisme est la religion la plus simple du monde ; pour l’autre, c’est, au contraire, la plus compliquée et la plus spiritualiste ; pour un troisième, c’est la plus facile et la plus sage, c’est le vrai culte digne des penseurs modernes ; pour celui-ci, c’est une série de spéculations puériles et insignifiantes ; pour celui-là, c’est un matérialisme désolant. Toutes ces appréciations sont à la fois inexactes et fondées ; fondées, parce qu’elles dérivent d’une