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l’abstraction. Cette loi se manifestait en latin dans les nombreuses classes de noms en entia : prudentia, prudence ; en us, utis : juventus, jeunesse ; en ia : pigritia, paresse ; en as, atis : paupertas.

Ainsi, le plus grand nombre des idées abstraites reposait au fond de l’esprit latin dans le moule de la féminalité : c’était la base, l’habitude, la forme. Par la puissance de l’analogie, la classe du nom latin en or, relativement peu nombreuse, est venue se fondre dans ce vaste creuset. L’assimilation se fit donc aisément avec les idiomes celtiques, où l’idée abstraite correspondante avait la forme féminine. C’est ainsi que la déclinaison latine rencontra une déclinaison semblable dans les idiomes celtiques. Il y eut là une espèce d’embrassement de deux types identiques. Dans cette coïncidence, la plus grande force était du côté du celtique, qui avait la prise de possession et l’avantage du nombre, et la déclinaison gauloise os et on aux deux cas du singulier, oi et us aux deux cas du pluriel, a plus le droit que la déclinaison latine de réclamer la forme de la déclinaison du vieux français.

Pour les noms en or, en français eur, la destinée de leur genre ne fut pas complètement fixée dans tout le cours de notre langue ; mais si le masculin reparut, ce fut par suite d’efforts individuels et de savantes imitations. Dans les origines érudites de la langue, au XIIe siècle, un document, fait d’ailleurs sur un original latin, présente lo dolor, li dolors, mon dolor (Dialogues Grégoire). Un autre savant, Oresme, au XIVe siècle, écrivait « mon labeur » ; or, labeur était alors féminin.

Au XVIe siècle, on essaya de rappeler ces mots à leur genre d’origine. Calvin disait : « cest erreur pestilent. »