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Les Romains eurent-ils de la peine à entrer dans ce système de genres ? Non, car ils y étaient préparés par tout un vaste vocabulaire d’expressions abstraites. En effet, ces expressions masculines en or forment une exception dans l’ensemble de la langue latine, où la généralité des termes abstraits est de l’autre genre. Comparez en effet les classes si nombreuses en us, utis, comme juventus, jeunesse ; elle en ia, comme pigritia, pigresse et paresse ; celle en as, atis, comme paupertas, poverté et pauvreté ; celle en entia comme prudentia et plusieurs autres encore. La grande majorité des idées abstraites reposait donc au fond de l’esprit latin dans le moule de la féminalité : c’était la base, la forme, l’habitude. On conçoit qu’avec quelque temps, par la puissance de l’analogie, la classe des noms en or soit venue se fondre dans ce vaste creuset. Si en italien et en espagnol ces noms sont restés masculins, ils sont féminins en provençal, dans la langue d’un pays d’origine celtique.

L’invasion franque ou germanique, au Ve siècle, vint confirmer cette disposition à féminiser les noms en or, puisque la plupart de leurs synonymes en allemand sont féminins ; nous citerons warme, féminin, chaleur ; kalte, féminin, froideur, froidure ; weisse, féminin, blancheur ; rothe, féminin, rougeur ; dichte, féminin, épaisseur ; liebe, féminin, amour ; arbeit, féminin, labeur ; errhe et wurde, féminin, honneur ; furchte, féminin, peur.

3o Cause philosophique. D’ailleurs, une loi supérieure dominait ces transformations et en était le point de départ : c’est que les noms abstraits, ceux qui représentent une idée vague, générale, une disposition passive, ont pris, en immense majorité, le genre féminin. C’est la forme de