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l’occupation prussienne à versailles en 1870-71.

qui fait aimer le travail et la vie ! Et le voilà jeté loin de son bonheur, le voilà exposé à la mort, tout simplement, parce que le Souverain de la France a jeté son gant au Souverain de la Prusse, et que lui, sujet de Sa Majesté, il est devenu l’un des bras qui doivent accomplir ce gigantesque duel auquel il ne comprend pas grand’chose…, sinon que les parties intéressées sont les seules qui, à coup sûr, n’en mourront pas… Quoi, le mépris absolu de la vie, l’indifférence pour ceux qu’on y laisse, l’impassibilité devant les souffrances et la mort que l’on cause, tout cela constituerait cette belle vertu appelée « courage » ? Allons donc ! Ceux qui soutiennent une telle absurdité ne savent ce qu’ils disent. Le soldat obéit à la volonté qui lui commande et non à sa bravoure ; ce n’est pas sa bravoure qui lui fait accomplir des actions héroïques, c’est l’émulation, c’est la vanité, c’est une sorte de fumée enivrante qui lui monte au cerveau… quand ce n’est pas une simple raison de métier : l’ambition.

Oui, le Prussien qui excite en ce moment notre colère devrait aussi exciter notre pitié, car il est plus malheureux que nous.

Chacune de ses étapes à travers nos pays l’éloigne de son foyer ; il est exténué de fatigues, de privations ; honnête jusqu’alors, il se fait voleur parce qu’il a faim ; il a vu tomber autour de lui ses compagnons, ses frères ; demain, peut-être, il aura le même sort ; dans les villes où il passe, il fait peur aux femmes, aux enfants, partout des regards de crainte ou de fureur pèsent sur lui ; et le soir, quand il s’étend sur la terre humide pour dormir, il peut se dire que le bandit qui, comme lui, tue sans haine, a, du moins, le bénéfice de sa profession… quant à lui, le pauvre hère, que gagnera-t-il à cette brillante campagne ? La gloire ?… Oh ! encore une fois, grâce pour ce mot, ne l’attachons pas au casque du plus fort ! En admettant, d’ailleurs, qu’il y ait gloire, en rejaillira-t-il assez sur cet infime vainqueur pour le dédommager de ce qu’il a souffert ? L’hymne patriotique n’expirera-t-il pas sur ses lèvres quand il trouvera, au retour, morts de misère et de chagrin, ceux qu’il aimait ?

Cette situation chez le soldat prussien, nous la retrouvons chez le soldat français ; tous sont à plaindre.

Bien à plaindre son aussi, dans ces deux nations combattantes, ceux-là même qui ne combattent pas ; le voile de crêpe