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augusta holmès.

qu’elle ignora la maladie et la cruelle agonie de son illustre parrain, qu’elle laissa mourir dans le plus tragique isolement.

À un ami du poète qui lui retraçait (pour le lui reprocher peut-être) l’abandon de ces derniers moments, voici ce qu’elle trouvait à répondre : « Il a eu le bonheur de mourir seul, tout seul, comme Beethoven. » Certes, une telle mort était à la taille du fier solitaire… Mais il était assez tendre pour avoir pu cruellement ressentir l’absence à son chevet, à cette heure suprême, de celle qu’il avait aimée comme son enfant, et… qui l’était, peut-être…[1].

C’est le 19 décembre 1869, à 6 h. 1/2 du soir, que le vieux père Holmès s’éteignit à Versailles, en sa maison de la rue de l’Orangerie. Cette mort mit la jeune fille en possession d’une fortune évaluée à vingt mille francs de rente et d’une complète indépendance à un âge où les conseils ont encore leur raison d’être. Elle n’avait pas un caractère à s’imposer elle-même des freins dans la satisfaction de ses goûts artistiques et dispendieux. Impatiente de jouir, elle leur donna libre cours, et l’hôtel de la rue de l’Orangerie ouvrit à deux battants ses portes. Ce fut une vraie maison du Bon Dieu. André Theuriet, qui en fut un des hôtes, nous l’a décrite en son roman Mademoiselle Guignon.

Tout ce qu’il y dit de Mira Strany, musicienne hongroise, est

  1. N’est-ce pas la destinée des grands êtres de vivre seuls et de ne permettre à quiconque de pénétrer dans ce chez soi de l’âme qui s’appelle l’intimité ? Plus d’un génie eut des amis, mais ce n’est vrai que des génies faciles. Les transcendants, les dieux humains, les hommes d’effroi, comme Michel-Ange, Shakespeare, Beethoven, Dante, et au-dessus de ceux-là mêmes, les hommes sacrés, les Isaïe, et les Moïse, n’avaient point d’amis. Ils avaient des confidents : ils avaient des protégés, des satellites de leur gloire, des seconds de leur œuvre, des serviteurs au cœur dévoué jusqu’à la passion ; mais l’intimité proprement dite, non. Leur âme était trop haute ; leur atmosphère était irrespirable aux humains. Ils étaient comme marqués d’un signe, effroyable et sacré » (R. P. Sertillanges, Jésus, Paris. Lecoffre, p. 191-192). — Dans l’exemplaire de ce livre qui a appartenu à Augusta Holmès et qui figure maintenant au nombre des livres légués par elle à la Bibliothèque de Versailles, le passage a été marqué dans la marge d’un trait de crayon bleu avec cette mention pure et simple, de sa main : Alfred de Vigny. Ce rapprochement nous paraît éloquent et de nature à projeter sur le fléchissement des relations affectueuses du poète et de sa filleule, une lumière qu’il importait de ne pas négliger.