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madame de pompadour

obstacles à coup d’autorité ». Le Maréchal le sentait bien aussi ; mais comme il n’était « ni endurant, ni dissimulé », les refus persistants de Duverney à lui faire passer le million de rations de fourrages qu’il réclamait si éperdument le déterminèrent un peu brusquement peut-être à renoncer à tout concert avec son obstiné contradicteur et à ne prendre conseil que de soi-même. Astreint, en d’autres termes, aux expédients les plus incertains pour assurer la subsistance de son armée, le Maréchal d’Estrées s’en prit avec la plus grande rigueur aux détestables pratiques que le goût du bien-vivre avait importées de la capitale dans les États-Majors des différents corps, et par la force desquelles se consommait en pure perte, aux dépens des unités combattantes, une bonne partie des vivres et fourrages qu’il avait tant de peine à se procurer. Afin d’arrêter l’effroyable série d’abus qui se perpétraient à tous les degrés de la hiérarchie — et nous n’en citons qu’un des plus graves, — il rendit les Ordonnances les plus sévères ; mais le mal avait poussé de profondes racines, et s’il n’est pas sûr que l’ordre et la discipline aient beaucoup gagné à ces prescriptions, reconnaissons cependant qu’elles marquent un sérieux effort vers le relèvement de l’état moral et des conditions d’existence de l’armée[1].

À part quelque mécontentement parti du sein des États-Majors ainsi rappelés au respect des règlements, l’armée commençait à se sentir commandée. Le 10 juin, elle venait camper à Rhéda, en amont de l’Ems, pendant que la réserve du Prince de Soubise formant l’extrême droite prenait position un peu en avant, à Wiedenbrück[2]. Ce mouvement avait pour objet de déposter un corps Hanovrien signalé sur la rive droite de la rivière et comprenant d’assez nombreuses forces amenées par le Duc de Cumberland, dans l’intention apparente de livret bataille. Néanmoins, ce projet d’attaque se borna de part et d’autre à des préparatifs, car la pénurie de charrettes trouvées dans la région avait obligé le Maréchal à attendre l’arrivée d’un convoi de pain, et, dans l’intervalle, le Prince Anglais se jugeant sans

  1. Camille Rousset.
  2. Le mot « réserve » n’avait pas à cette époque le sens qu’il a aujourd’hui. En terminologie militaire, réserve signifie troupe réservée et, par conséquent, placée en arrière du dispositif. Or, le corps du Prince de Soubise, improprement appelé réserve par les situations d’effectifs, opérait en corps séparé sous l’autorité du Maréchal commandant l’armée principale.