Page:Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1919.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
augusta holmès.

enivrante, irrésistible. Elle va jusqu’au bout de ses forces, tombe évanouie dans les bras de son père. Gounod s’alarme. Elle se remet. Le soir tombe, Gounod s’en va. Les auditeurs demeurent ensemble à discuter de l’œuvre entendue. Saint-Saëns alors, à son tour, se met au piano. Que joue-t-il ? Du Bach ? du Beethoven ? du Gluck ? Oui, du Gluck… Et voici qu’au clair de lune, dont les pâles rayons, tamisés par les vitraux, répandant dans l’atelier une lueur blafarde et mystérieuse, Augusta s’avance comme une déesse et, conservant levés au ciel ses bras qui, d’un geste brusque, ont dénoué sa chevelure, elle se met à chanter, provoquant l’extase et les larmes…

Ce fut, j’en crois Clairin, « romantique à souhait », et « l’ombre de Dévéria dut être contente ».

Est-ce tout ? N’est-on pas saturé de musique ? Quelqu’un — c’est Regnault — propose d’aller en entendre encore. Et l’enthousiaste bande, oubliant de dîner, se rend à l’Opéra. On y joue tout justement du Gluck. Et l’orgie sonore se prolonge. Et l’on s’en revient à pied, dans les rues du Paris nocturne, escortant le vieux père Holmès, « l’homme-raison » du petit cénacle qui, ce soit-là, n’en fut peut-être pas le moins exalté.

On se réunissait aussi chez Saint-Saëns, le lundi soir, 168, Faubourg-Saint-Honoré. C’est à l’une de ces réceptions qu’Henri Regnault fut un Samson fougueux donnant la réplique à Dalila-Holmès, dans le duo d’amour de la vallée de Sorreck, à une époque (c’était au début de 1868) où, du bel opéra de Saint-Saëns, le deuxième acte seul était encore composé. Romain Bussine y faisait le grand-prêtre et l’auteur lui-même accompagnait au piano[1].

À la belle saison, la bande joyeuse aimait à courir la campagne, soit les bosquets du parc de Versailles, soit les halliers de la forêt de Fontainebleau, et Marlotte fut souvent le lieu de rendez-vous choisi pour servir de point de départ à leurs champêtres ébats.

  1. L’ouvrage que M. Jean Bonnerot a consacré à Saint-Saëns (Paris, Durand, 1914) nous apprend d’ailleurs que la chaleur des interprètes n’arriva pas à triompher alors de l’indifférence d’un public prévenu contre ce sujet biblique, et que Saint-Saëns, découragé par cet accueil, renonça momentanément à achever son œuvre, qu’il ne reprit que plus tard, à la demande de Liszt.