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augusta holmès.

Aux soirées de Versailles répondaient celles de Paris. Dans l’atelier du boulevard Saint-Michel, que les trois occupants, Regnault, Clairin, auxquels s’était joint Blanchard, avaient loué à frais communs et romantiquement meublé d’oripeaux magnifiques, on donnait des réceptions joyeuses. Écoutons Clairin, dans ses Souvenirs[1], énumérer ses hôtes : « C’était Saint-Saëns, la belle Augusta Holmès avec son père ; Pavie, le pauvre Pavie, qui est mort si absurdement et qui nous donnait de si justes indications d’anatomie ; Cazalis, à qui nous trouvions un faux air de Musset et qui nous récitait des vers ; Armand Renaud, poète lui aussi, un petit sécot qui devint directeur des Beaux-Arts à l’Hôtel de Ville… Saint-Saëns mettait en musique des vers de Renaud, les Nuits Persanes, et de Cazalis, l’Égalité devant la mort. Nous avions un piano loué au mois : un mauvais piano, je l’avoue. »

Mais, ce piano, quels doigts l’émurent ! Ce fut Gounod qui l’étrenna, Gounod rencontré un matin dans la joie de sa création dernière, Roméo et Juliette, et ravi d’en donner la primeur à ses amis.

On prend jour. L’atelier est épousseté, balayé. Les familiers sont convoqués : Bussine, Saint-Saëns, Augusta Holmès et les autres. Rendons ici la parole à Clairin : « À onze heures, déjeuner. Nous avions, Regnault et moi, des vareuses rouges, pleines de couleur, comme des palettes. Gounod se mit en bras de chemise, gilet déboutonné.

Le voici au piano. Il chante. Il chante tout, varie sa voix pour les divers personnages, fait les chœurs, tout.

C’était un homme séduisant, emballant. Comme il chantait ! Il nous tortillait avec sa voix. »

Saint-Saëns et Augusta Holmès l’assistent. Celle-ci suit sur la partition et, gagnée par l’ardeur amoureuse émanée de ces pages, entonne au duo du deuxième acte. Elle est une Juliette

    œil soupçonneux cette bande de promeneurs attardés, nous demandèrent si nous n’avions rien à déclarer.
    « — Nous avons de la poésie ! cria l’un des plus exaltés, et nous continuâmes notre route en emplissant de rires fous la rue endormie. Cela dura jusqu’au petit jour et les premières clartés de l’aube nous surprirent groupés autour de V… qui récitait à voix haute le monologue de Hamlet. »

  1. Ils ont été publiés par M. André Beaunier, sous ce titre : Les Souvenirs d’un peintre (Paris, Charpentier, 1906, in-12).