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augusta holmès.

Sa mère, femme intelligente et cultivée, douée de réelles dispositions pour la peinture (Clairin se souvenait d’avoir vu dans le salon de la rue Neuve-de-Berry une très belle copie faite par elle du tableau de David Bonaparte au mont Saint-Bernard, qui, depuis, décora la maison de Versailles), possédant en outre un certain talent de poète en langue anglaise, avait, en revanche, horreur de la musique. On lui prête cette boutade : « La peinture produit des tableaux, la littérature des livres, la musique le mal à la tête. »

Elle crut reconnaître en sa fille un penchant naissant, et qu’elle jugeait funeste, pour cet art, et, se rendant compte qu’il serait malaisé de le combattre en cette nature volontaire, elle entreprit de l’étouffer dans l’œuf. Aucun piano, en dépit du père plus conciliant, n’aurait, du vivant de la mère, pénétré dans la maison.

Un conflit eût pu s’ensuivre, entre le père et la mère peut-être, à coup sûr entre la mère et l’enfant (les intimes d’Augusta connaissaient le petit poignard avec lequel elle se blessa à neuf ans, parce qu’on l’empêchait d’exhaler sa musique). Mais, le 10 mai 1858, le décès de Mme Holmès[1] leva les barrières qui entravaient cette vocation impérieuse. Rien n’empêcha plus désormais l’enfant de suivre son goût déclaré. Ce n’est pas son père qui y eût fait obstacle : il ne voyait que par sa fille[2].

Celle-ci se développait très rapidement. À onze ans, c’était déjà plus qu’une enfant. Après toute la peine qu’elle avait coûté à ses parents par son caractère, elle commençait à leur inspirer de l’orgueil. À douze ans, son exrtaordinaire précocité sur tous les points faisait l’admiration de son entourage. Elle parlait déjà le français, l’anglais, l’allemand, l’italien et possédait sur le piano, bien qu’elle ne se fût mise que depuis peu de temps à l’étude, un talent dont on parlait à Versailles. Elle savait par cœur les grandes œuvres de Bach, de Beethoven, de Haëndel.

  1. Notons en passant — le détail a son importance — qu’elle mourut dans la maison même où habitait Vigny, 6, rue des Écuries-d’Artois, et où elle occupait un pied-à-terre.
  2. Il avait pour sa fille un culte fervent et jaloux. Sa conduite à son égard alliait la vigilance à la faiblesse. Il se disait son « janissaire », couchait en travers de sa porte, et je me suis laissé conter qu’il la considérait « comme une sorte d’objet d’art dont il était fier et qu’il faisait admirer de très près par ses amis, comme eût fait un peintre d’un modèle rare dans son atelier ».