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augusta holmès.

Manche, tout en faisant à Paris de fréquents voyages. Vigny, de son côté, ne laissait pas de passer le détroit : de décembre 1838 à avril 1839, il y séjourna pendant cinq mois consécutifs. En 1844, parut, à la Revue des Deux-Mondres, la Maison du Berger. Qui était la mystérieuse Éva ? On a proposé d’y voir Marie Dorval, Mme d’Agoult, Lydia elle-même. Nul, avant M. Séché, n’avait songé à Mme Holmès. Or, la lettre qu’adressait, le 25 janvier 1864, Ph. Busoni à Émile Deschamps ne laisse presque plus de place au doute : « … Je croyais que vous saviez qui se cachait sous le nom d’Éva. Elles sont deux, la mère et la fille, et vous les connaissez aussi bien que moi. C’est à Mme Holmès qu’est dédiée la Maison du Berger… » Ces vers magnifiques chantent dans toutes les mémoires. Une passion brûlante et précise s’y déclare sous le couvert prudent du symbole. Il y a lieu de croire qu’elle fut payée de retour.

Les Holmès avaient vers cette époque un pied-à-tere à Paris, rue Neuve-de-Berry. En attendant qu’ils y élussent tout à fait domicile vers la fin de 1847, Mme Holmès y tenait un salon littéraire où trônait Vigny, où ne tarda pas à confluer tout le cénacle des amis du poète : Aug. Barbier, Brizeux, qui lui dédiait la Fleur de la Tombe, Busoni, Ém. Deschamps, Pitre-Chevalier, Léon de Wailly.

C’est rue Neuve-de-Berry que naquit Augusta, le 16 décembre 1847, fruit tardif d’une union demeurée pendant vingt années stérile. Le poète des Destinées fut son parrain. Ne fut-il rien davantage ? Il est de fait que la ressemblance physique du poète et de sa filleule frappa les contemporains. Et la jeune fille, loin de s’en défendre, se plaisait à la constater. Au peintre Clairin qui, ayant remarqué un jour dans son salon un portait au crayon d’Alfred de Vigny, lui demandait si elle l’avait connu, elle répondait, non sans quelque fierté :

« Je le crois bien. Ne trouvez-vous pas que je lui ressemble ? »

M. Séché, qui rapporte cette scène, a fait de son côté le rapprochement de deux photographies d’Augusta, alors âgée de douze à quatorze ans, qui figurent dans l’album d’une de ses amis, Mme Marguerite Deutz, et du portrait de Vigny costumé en gendarme rouge qui est au Musée Carnavalet[1]. Et

  1. M. Maurice Allem l’a reproduit dans son livre sur vigny (p. 25).