suivait loyalement l’élan de sa pensée, mais, en son for intérieur,
il se sentait envahi d’un profond et douloureux malaise au
silence du Roi à l’instruire de son sort futur, et certains propos
que lui avait tenu Madame de Pompadour sur la stupéfaction
qu’exciterait sa retraite du Ministère, « étant comblé des bontés
du Roi », ajoutait à son angoisse. Méritait-il donc le reproche
d’ingratitude envers le Roi pour s’être décidé à renoncer à une
charge à laquelle il se jugeait désormais impropre, en établissant
sur de plus solides fondements le service de son État ? « De
deux choses l’une, pensera-t-on en Europe, ou que ma démission
est un commencement de disgrâce ou un affaiblissement
dans le système politique du Roi », lui réplique-t-il sur-le-champ.
« La première opinion nuira à mon crédit et aux autres
affaires dont le Roi peu me charger à l’avenir, mais elle sera
aisée à détruire. La seconde mérite plus d’attention et pendant
longtemps un grand concert entre M. de Choiseul et moi, sans
quoi vous ne pouvez pas douter que plusieurs Cours de l’Europe
ne sauront à quoi s’en tenir. Ni vous, ni le Roi ne m’avez dit
si je resterai au Conseil ; si j’y reste, il faut ôter l’idée que j’ai
perdu la confiance de mon Maître, sans quoi il vaudrait mieux
que je me retirasse à Vic-sur-Aisne[1] ou dans ma famille. J’ai
la confiance du Parlement et déjà celle de la moitié du Clergé.
Je puis donc tenir le Royaume en paix ; mais si l’on veut me
charger de cette besogne, il faut soutenir mon crédit et me
mettre en état de vivre décemment à la Cour[2]. »
XIII
En exposant à Madame de Pompadour ces vues raisonnables, à coup sûr, Bernis semble entraîné par le cours naturel de sa pensée à se poser en personnage indispensable à l’État. À la vérité, dans certains milieux philosophiques où se discutaient
- ↑ Dépendance de l’abbaye de Saint-Médard de Soissons, dont il avait reçu la commande en 1756.
- ↑ Mémoires de Bernis.
l’appui qu’il avait porté au Saint-Siège, pendant son ambassade à Venise, dans un conflit avec la République et un des premiers actes de Clément xiii, élu le 6 juillet, avait été de satisfaire au vœu de son prédécesseur.