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une lettre de ducis à larive.

ce qui m’arrive vous servir de leçon sur l’instabilité des événements de la vie. Je disais hier que je comptais sur vous comme sur moi-même, que vous seriez le charme de ma vie, et je suis forcé aujourd’hui de dire que nous sommes perdus l’un pour l’autre. »

Larive reste quatre ans à Bruxelles, puis revient à Paris, et rentre à la Comédie-Française le 29 avril 1775, par le rôle d’Oreste, dans Iphigénie en Tauride, mais, au dire des Mémoires secrets, sans produire aucun enthousiasme. Le 18 mai, il était nommé sociétaire, et le 30 octobre de la même année, il créait le rôle de Pygmalion, de Jean-Jacques Rousseau. Cette fois, il a du succès : « Comme c’est le premier qu’il joue d’après lui, on a été fort attentif à son exécution ; elle a semblé libre, ferme, naturelle et chaude. C’est un acteur qui donne les plus belles espérances et ne se livre que lorsque la passion l’exige. »

La Correspondance de Grimm donne à peu près la même note[1] : « Le sieur Larive avait déjà paru à la Comédie-Française il y a quelques années, mais les tracasseries qui lui furent suscitées alors l’engagèrent à nous quitter pour aller à Bruxelles et à Lyon. On s’est vu forcé de le rappeler. La tragédie avait besoin depuis longtemps d’un acteur qui pût doubler notre sublime Le Kain d’une manière supportable, et le jeune Larive donne au moins plus d’espérances que tous ceux qu’on a vu se présenter jusqu’à présent dans cette lice périlleuse. Il a surtout l’avantage de ne pas être une mauvaise copie de l’original admirable dont il paraît si difficile d’approcher et qu’il serait sans doute malheureux de n’imiter que médiocrement…..

Le jeune Larive ne lui en rien [à Le Kain]. Il a reçu de la nature tout ce que l’autre n’a pu se donner qu’à force d’industrie et de peine. Avec des traits pleins de noblesse et fortement prononcés, une taille élégante et régulière, un maintien naturellement facile et gracieux, il a l’organe aussi doux que sonore, quoique encore un peu voilé, la prononciation pure et distincte, et tout le mérite que donnent les grâces et la jeunesse. L’expression de sa figure, qui n’a pas beaucoup de mobilité, le caractère simple et modéré de son jeu annoncent plus de sens que d’esprit, plus de goût que de sensibilité. Sans faire ressor-

  1. Tome xi, page 72.