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une lettre de ducis à larive.

âgé au théâtre. C’est un élève de Mlle Clairon, qui lui disait avec un ton de Melpomène, en le faisant répéter en présence d’une grande dame, et le voyant fort décontenancé : « Allons, Monsieur Larive, votre extérieur est fort beau ; montrer à Madame la Duchesse que votre intérieur ne cède en rien à votre extérieur. » Mais il ne fallait parler au public ni de l’extérieur, ni de l’intérieur de M. Larive : il fallait qu’il tombât un jour des nues, habillé en Zamore, tout au beau milieu du théâtre des Tuileries, et son succès eût été plus brillant. Je n’ai jamais vu les ouvrages et les personnages annoncés réussir ; malgré cela, on a toujours la rage d’annoncer. Les amis de Mlle Clairon nous avaient dit, trois mois d’avance, que nous allions voir la perle des acteurs, et lorsque cette perle a paru, nous avons été tentés de lui disputer jusqu’à sa qualité de perle. Mlle Clairon s’était placée dans le trou du souffleur le premier jour de son début ; c’est de là qu’elle dirigeait son élève à chaque vers et à chaque pas, des yeux, de la voix, des gestes. À la place de M. Larive, si j’avais eu quelque talent, cette sollicitude maternelle eût été un moyen infaillible de me le faire perdre. L’élève annoncé fut d’abord reçu avec les plus grands applaudissements ; mais ces applaudissements allèrent toujours en déclinant, et il n’en resta plus pour les quatrième et cinquième actes ; la marche inverse eût mieux valu. En revanche, Mlle Clairon eut la mortification, dans son trou, d’entendre applaudir avec transport Mme Vestris, qui l’a remplacée au théâtre et fait oublier du public ; elle s’était placée tout juste aux pieds et en face de sa rivale, pour être témoin de son triomphe[1]. »

L’insuccès de Larive le décide à partir pour Bruxelles, où d’Hannetaire l’engage dans sa troupe. D’Hannetaire avait monté un théâtre dans cette ville, où, associé avec un nommé Gourville, il avait constitué une société sous le nom de « Comédiens ordinaires de S. A. R. le prince Charles de Lorraine ». Il avait deux filles ; Larive épousa l’aînée, Eugénie, qui tenait dans le théâtre l’emploi de soubrette. Ce mariage ne manqua pas d’exciter la jalousie de Mlle Clairon, qui écrivit à Larive : « Puisse

  1. Correspondance de Grimm et Diderot. Notices, Notes, Table générale, par Maurice Tourneux. Paris, Garnier, 1879, tome ix, page 235.