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46 LA REVUE DE L'ART Les marchands et les brocanteurs, qui dédaignaient les productions de Lucas de son vivant, les recherchent maintenant, trop souvent, il est vrai, pour les écouler sous le nom de Goya. Mais dans la péninsule elles n'ont déjà plus besoin de ce faux passeport et circulent sous leur vrai nom. Les collectionneurs les plus avisés, D. Aureliano de Beruete, D. Pablo Bosch,. D. Miguel Ortiz Canavate, D. José Lazaro, le peintre Ignacio Zuloaga, n'ont pas craint de leur faire une place chez eux. Bientôt, elles franchiront en nombre les Pyrénées, et obtiendront aussitôt droit de cité en France. Comme Monticelli, avec lequel il a plus d'un point de contact et de ressemblance, Lucas aurait pu dire, à propos de Delacroix, qu'il ignorait peut-être : «  Delacroix a peint pour vingt ans après lui ; moi, je peins pour dans cinquante ans ». Eugenio Lucas mourut dans toute la force de son talent, à Madrid, le 11 septembre 1870, à peine âgé de 56 ans. Il laissa plusieurs élèves qui ne sont pas sans mérite; d'abord ses deux fils, puis Gonzalez Garcia, né à Valladolid, où il passa d'ailleurs la plus grande partie de son existence. Garcia n'est, à vrai dire, qu'un servile copiste de Goya et de Lucas; il imita leur facture au point qu'il est parfois malaisé, même alors qu'on est prévenu, de reconnaître ses ouvrages de ceux de ses modèles, ils sont cependant — et cela se conçoit — moins primesautiers, moins brillants, moins libres et moins fermement exécutés. Si Eugenio Lucas ne fut pas un artiste de premier ordre, s'il lui a manqué une assez haute pensée, un sentiment suffisamment personnel pour éclairer le ciel de l'art d'une lueur nouvelle, s'il s'est même parfois trop abandonné, trop négligé, s'il n'est enfin que l'écho affaibli des grands maîtres qui l'ont précédé, de Velazquez et surtout de Goya, il n'en reste pas moins un caractère artistique original, un peintre dans le vrai sens du mot, et cela suffit. PAUL LAFOND