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414 LA REVUE DE L'ART A cette date, en 1853, Hébert est déjà l'auteur du saisissant Baiser de Judas et du magistral portrait du prince Napoléon. Il rapportera d'Italie, de cette Italie crue Dupré n'a pas connue, des chefs-d'oeuvre de séduction fémi- nine, la Crescenza, les Fievaroles de San Angelo, — ces jolies filles qui toutes pourraient s'appeler, comme la Perle du Salon de 1865, des « perles noires». Treize ans plus tard, il succédera à Robert Fleury à la Villa Médicis; les jeunes peintres pourront dire aussi que c'est « une faveur du sort» d'y rencontrer un tel professeur de beauté, et il retrouvera là toute la poésie de sa jeunesse, cette poésie que lui seul peut exprimer avec la mélancolie poignante qu'il donne au Banc de pierre abandonné, soli- taire sous la tombée des feuilles sèches 1.

Mais surtout l'Italie lui dicta l'admirable page , qui avait été son coup de maître. Passant par Terracine, en revenant de Naples, il avait ensuite traversé les Marais Pontins, et la mélancoliede cette terre de douleur lui inspira le premier tableau l'ait'en revenant de Rome, cette toile fameuse qui rendit populaire, dès le premier jour, l'auteur de la Malaria. Hébert — tandis que cette Malaria triomphait à Paris, au Salon, — s'était arrêté à Marseille, y faisant des portraits, pendant qu'à Paris son nom naissait, grandissait, entrait dans la gloire. Un jour, il rencontra sur la Canebière un musicien, chef d'orchestre à la Comédie-Française, Jacques Offenbach, qui revenait précisément de Paris. Le futur auteur de la Chanson de For- tunio — qu'il avait déjà écrite pour Musset — se mit à causer avec le jeune homme, le prenant pour quelque petit peintre. «  Vous devriez exposer 1. On connaît l'immortelle pièce de vers que ce Banc inspira à Théophile Gaulier. Hébert a con- servé d'un autre poète, un «poète de combat», Laurent Pichat, des vers émus que lui envoyait son ami après avoir admiré ce poignant tableau : Autour de ce banc, quelle solitude! D'un lapis de mousse il est recouvert ; Les arbres discrets, pleins d'inquiétude, L'ont enveloppé de leur rideau vert. Siège au bois dormant, petit banc où tombe La triste lueur du soleil couchant, La nature en toi croit voir une tombe ; La nature est douce et l'homme est méchant. Elle veut cacher la place haïe, Où longtemps l'amourest venu s'assoir, Une pauvre femme, une âme trahie, Les yeux tout eu pleurs y vint seule un soir... Toute la pièce rend bien la mélancolie de cette page du poète du pinceau. Hébert a vraiment exprimé là ces « larmes des choses », dont Virgile a parlé.