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A PROPOS D'UNE OEUVRE DE BOSCH AU MUSÉE DE GAND 305 des contrastes voulus, d'où se dégage une impression de vie intense, mais frisant déjà la caricature. Dans le triptyque signé de Valence,— où nous voyons au milieu le Couronnement d'épines, à droite la Flagellation et à gauche la Trahison de Judas (, — considéré par J. D. Passavant 2, sir William Stirling-Maxwell3 et C. Justi-s comme une oeuvre remarquable et caractéristique du maître, le côté caricatural et satirique semble avoir pris si bien le dessus que certains critiques se sont demandé si nous ne sommes pas en présence d'une oeuvre exécutée par un de ses nombreux imitateurs. Car on se rappellera que, déjà de son temps, Don Felipe mettait les amateurs en garde contre les faussaires qui signaient de son nom leurs copies. Dans une étude précédente, parue ici-même 5, nous avons insisté sur l'influence qu'eurent les mystères du temps sur certaines peintures flamandes du xv° siècle. Bosch, plus que tout autre peintre, sut s'inspirer des drames religieux de son époque. Le Christ assis sur un arc-en-ciel du Jugement dernier, de l'Académie des Beaux- Arts de Vienne, la masure campinoise où des rustres épient la scène impression- nante des rois agenouillés devant une humble crèche, les jeux populaires et les batailles simulées de mendiants malingreux et éclopés accompagnant son Saint Martin partageant son manteau, ses Tentations de saint Antoine, ainsi que tant d'autres sujets, présentent tous les caractères d'épisodes et de décors empruntés aux mystères flamands alors si populaires. Les nombreuses scènes, peintes par Bosch, où nous voyons le Christ insulté et outragé par la foule juive acharnée à sa perte, étaient aussi les parties les plus applau- dies des mystères de la Passion, qui, en France comme dans les contrées flamandes, eurent un succès si grand. Dans la Passion d'Arras, qui date de la première moitié du xve siècleG, dans celle de Jean Michel, jouée à Angers en 1486 7, dans la Passion d'Amould Gréban 8, ainsi que dans les mystères analogues joués en Belgique, à Tournai et à Maestriclit (Maestrichts-Paeschspel), ce dernier datant du xive siècle, partout les scènes d'ou- trages au Christ sont représentées avec le réalisme le plus révoltant. Ces visages surexcités du tableau de Gand, ces yeux écarquillés, ces bouches ouvertes pour le rire ou pour l'injure, ces lèvres closes en un rictus cruel, toutes ces passions exaspérées qui animent les personnages de ce Portement de Croix, qui semblent si exagérés maintenant, devaient paraître naturelles aux habitués des représentations religieuses au moyen âge. 1. Ce volet a été reproduit dans l'étude de M. Dollmayr, citée plus haut, p. 293 (il ne considère pas cette peinture comme une oeuvre du maître). 2. J . D. Passavant, Die kirchliche Kunst in Spanien, pp. 138-139. Leipzig, 18S3. 3. Sir William Stirling-Maxwell, Annals of the Artisls of Spain, vol. I, p. 138. i. C. Justi, op. cil., p. 127. 5. L . Maeterlinck, l'Art et les Mystères en Flandre, t. XIX, pp. 308 à 318). 6. Publié par Richard, Mystère de la Passion d'Arras. 7. Jean Michel, le Mislère de la Passion joué à Angiers, 1486 (Bibl. nat., incunables, yf, 69. Inv. res.). 8. Haynaud, le Mystère de la Passion de Gréban. LA REVDE DE L ART. — XX. 39