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208 LA REVUE DE L'ART bien voir, il fallait du moins rester soi-même, et résister à la fascination qu'il exerçait : ce qu'on pouvait employer après lui c'était son art de rendre la lumière sensible autour des objets et de la faire, en quelque sorte, vivante. Il y avait là un moyen d'expression poétique admirable, nouveau, quoi qu'on en ait dit, et qui offrait aux peintres des ressources inépui- sables à condition de l'adapter à leur tempérament. Il s'en trouva beau- coup pour le comprendre : c'est van Ostade, parti de Haarlem, qui imite d'abord exactement l'éclairage de Rembrandt— qu'on voie le. Philosophe exposé à Leyde par M. Cloix — qui interprète bientôt la lumière dans les intérieurs comme le maître dans la Famille du Menuisier, et qui tire de cette interprétation des effets délicieux. C'est Pieter de Hooch, parti aussi de l'école de Haarlem — le Chasseur exposé par M. Fleischmann le prouve — et qui arrive à l'atmosphère dorée, puis argentée de ses bons tableaux : c'est Maes, avant la décadence, c'est Metsu, Vermeer, d'autres encore. Ceux-là ont vraiment su tirer des leçons du grand peintre ce qui convenait au génie hollandais, très peu imaginatif, très peu préoccupé d'idées profondes, mais merveilleusement sensible au charme et à la poésie de l'intimité. Il ne saurait être question de traiter ici un si vaste sujet. J'ai voulu me borner à quelques réflexions suggérées par les expositions de cette année. Mais à bien pousser les choses, à reprendre autrement tout ce à quoi nous avons touché, à examiner ce qu'est devenue l'influence de Rem- brandt, à Leyde par l'intermédiaire de Dou, à Amsterdam par ses élèves directs, un peu partout par la diffusion de ses ouvrages, on écrirait, d'un point de vue spécial, mais très riche en découvertes, toute une histoire de la peinture hollandaise dans la seconde moitié du xvnc siècle. On ver- rait qu'il est peu d'artistes qui ne lui doivent quelque chose. Les Hollandais ont raison.. Rembrandt est partout en Hollande. Il a donné de son pays une image si vivante, qu'on ne peut voir se dérouler, du haut d'une éminence, la longue campagne verte, sans rappeler le souvenir de la Campagne du peseur d'or, ni feuilleter une histoire des Pays-Bas sans évoquer la Ronde de nuit et les Syndics ; il a si fortement pénétré l'art de son siècle, qu'on ne peut parcourir les salles d'une exposition ou d'un musée sans éprouver constamment sa présence. De quelque hauteur qu'il la dépasse, Rembrandt est la Hollande même. PAUL ALFASSA