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voir le solitaire ; ils lui racontèrent leur affliction et le prièrent de leur dire jusqu’où il avait réussi. Il garda le silence un instant, mit de l’eau dans un vase et leur dit : Faites attention à l’eau — or elle était troublée. Un peu après, il leur dit encore : Regardez de nouveau maintenant que l’eau est apaisée, et lorsqu’ils s’approchèrent de l’eau, ils virent leurs visages comme dans un miroir et il leur dit : De même celui qui vit parmi les hommes, à cause de l’agitation, ne voit pas ses péchés, mais lorsqu’il vit solitaire, surtout au désert, alors il voit ses défaillances.

135. — Un vieillard[1] racontait qu’un frère voulant se retirer en était empêché par sa mère. Il n’abandonnait pas son projet et disait : Je veux sauver mon âme. Elle prit beaucoup de peine sans pouvoir l’arrêter et le lui permit donc enfin. Il s’en alla et, devenu moine, consuma sa vie dans la négligence. Il arriva que sa mère mourut et que lui-même, au bout d’un certain temps, tomba dans une grave maladie ; il fut ravi en extase et conduit au jugement : il trouva sa mère parmi ceux qui devaient être jugés. Lorsqu’elle le vit elle dit, pleine d’épouvante : Qu’est-ce que cela, mon fils, toi aussi tu es jugé en ce lieu ! Où sont tes discours ? Ne disais-tu pas que tu voulais sauver ton âme ? Rougissant à ces paroles, il restait saisi de douleur et n’avait rien à lui répondre. Il entendit encore une voix qui disait : Enlevez celui-là d’ici, je vous ai envoyés dans tel couvent à un moine son homonyme[2]. Lorsque la vision eut pris fin, il revint à lui et raconta le tout aux assistants. Pour confirmer et certifier ce qu’il racontait, il envoya quelqu’un au monastère dont il avait entendu parler pour voir si le frère dont il avait été question était mort. L’envoyé trouva qu’il en était ainsi. Lorsqu’il eut repris ses forces et fut revenu à lui, il s’enferma et vécut dans le souci de son salut, plein de repentir et de larmes pour ce qu’il avait fait auparavant avec négligence. Sa componction était si grande, que beaucoup le priaient de s’en relâcher un peu, de crainte qu’il n’éprouvât du mal à cause de ses gémissements excessifs. Il ne se laissa pas convaincre et dit : Si je n’ai pu supporter le reproche de ma mère, comment supporterai-je, au jour du jugement, le blâme du Christ et des saints anges ?

136. — Un vieillard dit[3] : S’il était possible que les âmes des hommes quittent (leurs corps) à l’arrivée du Christ après la résurrection, tout le monde mourrait de crainte, d’horreur et d’égarement. Que verrait-on en effet, sinon les cieux déchirés, Dieu qui se montre avec colère et indignation, les troupes innombrables des anges et toute l’humanité ensemble ? Il faut donc vivre comme si Dieu devait à chaque instant nous demander raison de notre conduite.

137. — Un frère demanda à un vieillard[4] : Comment la crainte de Dieu entre-t-elle dans l’âme ? Le vieillard dit : Si un homme possède l’humilité et la pauvreté, et s’il ne juge pas, la crainte du Seigneur viendra en lui.

  1. Coislin 127, fol. 59v. M, 863, no 20 ; 808, no 216.
  2. Ceci ne se trouve pas dans M, 863, 20 ; mais bien col. 808, 216.
  3. Coislin 127, fol. 59v ; M, 863, no 21.
  4. Paul, 43, sous deux formes. L’une des deux formes donne au vieillard le nom d’Euprépios ; B, p. 741, no 114 ; L, fol. 106r ; Coislin 127, fol. 60.