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neste au noir émancipé. Toute transition brusque, dans le corps social comme dans l’économie du corps humain, est entourée de graves périls.

Il importe donc de ménager cette transition, dans l’intérêt des noirs autant et plus peut-être que dans l’intérêt des blancs.

La liberté serait un don stérile, si elle était abandonnée, dès les premiers pas, aux écarts de l’ignorance et au vagabondage d’une nature inexpérimentée. À peine libre, le nègre, livré à lui-même, retomberait sous le joug des passions brutales. En le rétablissant enfin dans la jouissance de ses droits, la République n’est pas à bout de tâche ; il ne suffit pas qu’elle ait décrété d’enthousiasme l’abolition de l’esclavage, il convient désormais qu’elle forme des hommes libres, des citoyens.

Après l’émancipation, une tutelle est donc nécessaire.

La définition de ce nouveau genre de tutelle appliqué à toute une race doit être, autant que possible, clairement précisée.

L’apprentissage, pratiqué dans les colonies anglaises, n’était guère, à vrai dire, qu’une continuation plus ou moins affaiblie de l’esclavage, une marche lente et embarrassée vers l’indépendance complète. La liberté du nègre consistait plus dans les mots que dans les faits : aussi l’émancipation ne date-t-elle réellement que du jour où l’apprentissage a cessé. Il ne saurait y avoir de demi-esclavage pas plus qu’il n’y a de demi-liberté.

La tutelle ne serait donc, elle aussi, qu’une servitude déguisée, si elle n’était soigneusement placée hors des atteintes de l’arbitraire, si elle ne conciliait dans une juste mesure les droits du nègre récemment émancipé avec les obligations imposées à toute organisation sociale, c’est-à-dire la liberté avec l’ordre.

Le travail est le fondement de toute société, la première condition de l’ordre. La nature l’impose à l’homme, et la loi au citoyen. Le nègre peut donc être obligé au travail, sans que sa liberté soit en péril, du moment qu’il reçoit un salaire proportionné au service rendu. La tutelle ne fera donc qu’user de son droit, au nom de la société et dans l’intérêt même du nègre, en régle-