Page:Revue de droit public - 1897 - A4T8.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si le service des chemins de fer était exclusivement un service public, il faudrait donc en remettre sans hésiter la construction et l’exploitation à l’État. Mais il est en même temps un service privé. Eh bien, ce serait là peut-être une raison de l’abandonner à l’intervention des compagnies si la concurrence y était possible ; mais ce n’en est plus une du moment où le monopole y est naturel et nécessaire. Par ce fait seul, et a priori, la prédilection des économistes pour l’initiative individuelle n’est plus de mise. Et, de fait, à qui espère-t-on faire croire que les compagnies privilégiées de chemins de fer soient un type d’activité et d’intelligence et non de « mauvais petits États », comme les appelait Dupuit dans l’intimité ? À qui persuadera-t-on que le népotisme et le favoritisme y sont inconnus ? Qui ne sait combien l’esprit d’administration et d’exploitation y est médiocre et mesquin ? Mal payer leurs employés, traiter le public en matière exploitable, s’en tenir aux plus hauts tarifs alors même que leur intérêt bien entendu serait de les abaisser ; bref, écumer avec lésinerie et nonchalance un fructueux monopole, voilà ce qu’elles font. Mais au moins, s’écrie-t-on, elles font des bénéfices ! Et qui empêcherait l’État de faire exactement les mêmes ? Personne n’ignore que les actionnaires des compagnies de chemins de fer n’y sont rien, que la plupart des administrateurs y sont fort peu de chose, que toute la conduite de ces entreprises est concentrée entre les mains de quelques directeurs et chefs de service intéressés par des situations exceptionnelles à leur succès. Qui interdirait à l’État de se servir de ces mêmes personnes, aux mêmes conditions, en vue des mêmes résultats ? Qu’on suppose les actionnaires désintéressés, les administrateurs congédiés, les directeurs et chefs de service seuls maintenus, l’État se présentant pour percevoir les dividendes, il n’y aurait rien de changé que l’emploi de ces dividendes. Et alors même que l’État, sans faire mieux au point de vue des recettes, ferait moins bien au point de vue des dépenses, il y aurait encore profit pour la société. Le coût des transports ne serait pas ce qu’il devrait être, soit dans l’intérêt des consommateurs soit dans l’intérêt des chemins de fer ; mais, d’un autre côté, on ne verrait plus des aiguilleurs chargés pour un salaire dérisoire d’une tâche au-dessus des forces humaines, la vie des