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affaire. Ces bénéfices que des actionnaires représentés par des administrateurs intéressés et vigilants savent tirer de leur monopole, l’État, dit-on, représenté par des fonctionnaires désintéressés et négligents, ne les fera pas. Les emplois de chemins de fer deviendront entre ses mains des sinécures grassement payées à distribuer par le népotisme et le favoritisme politique. Construites et exploitées par un tel personnel, les lignes de chemins de fer coûteront cher et ne rapporteront rien. Au lieu de ces bénéfices qui seraient consacrés au développement du réseau, l’État fera des pertes qui retomberont lourdement sur les contribuables.

Nous ne saurions, pour notre part, admettre ce parti pris de doter l’individu de toutes les vertus et l’État de tous les défauts. C’est là un abus des principes économiques. S’il est vrai que l’initiative individuelle, stimulée par la libre concurrence, effectue mieux que qui que ce soit les services d’intérêt privé, il l’est également que l’initiative collective, sous le contrôle de la publicité et de la discussion, effectue mieux que n’importe qui les services d’intérêt public. Là où l’esprit politique est formé, la presse libre et sérieuse, les fonctions publiques sont convenablement remplies, et des magistrats intègres, de braves officiers, des administrateurs éclairés et d’habiles ingénieurs font une besogne souvent très considérable pour une rémunération parfois fort modique. La considération et l’honneur sont, il faut le reconnaître, des mobiles d’activité naturels à l’homme aussi bien que le désir de gagner beaucoup d’argent. L’État a son rôle comme l’individu a le sien, et il faut avoir confiance en l’État dans la limite de ses attributions comme en l’individu dans la limite des siennes. L’État se substituant à l’initiative individuelle dans les entreprises industrielles est déplacé ; mais l’individu se substituant à l’initiative de la communauté dans les fonctions publiques ne l’est pas moins. Et, bien entendu, il y a lieu, non seulement de faire la théorie appliquée des fonctions de l’État, mais de procéder à l’organisation pratique de l’État, et de faire en sorte que le personnel des fonctionnaires de l’État soit composé d’hommes ayant suivi des cours universitaires, fait un stage, subi des examens professionnels, et non de gens qui se font surtout connaître comme nouvellistes ou vaudevillistes.