Page:Revue de Paris - 1932 - tome 6 - numéro 23 (extrait).djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

malgré ses secrets désirs. Mais sa vertu ne tenait plus, maintenant, qu’à un cheveu, qu’Adrien pouvait à tout moment rompre.

Adrien termina ses articles le samedi dans la soirée, les porta à la poste et alla chez Avramaki, où il ressentit une fatigue telle qu’il dîna et s’endormit aussitôt avant le coucher du soleil.

C’était dans les derniers jours de septembre, en pleine cueillette du mais. Les premières centaines de chars, transportant ces grains de l’intérieur du pays, arrivaient au marché de Braïla et étaient enlevées comme des petits pains, par les exportateurs, malgré l’impossibilité de les entreposer. On les déchargeait sur le pavé du port, tout le long des quais, et l’on couvrait les tas avec de grosses bâches.

Le cordonnier-chasseur et son compagnon le domestique-journaliste défilèrent, à la pointe du jour, devant ces innombrables tas de mais, sur lesquels on voyait, çà et là, dormir les veilleur de nuit, puis, au moment de monter dans le canot, leur vue fut frappée par une masse informe de ferrailles géantes qui se profilait sur l’horizon gris-noir, tout en amont du fleuve. La demi-obscurité et la forêt de mâts et cheminées des navires rendaient l’œil impuissant à définir la nature de ces appareils monumentaux, mais les deux amis en eurent le soupçon :

— Crois-tu, — dit Avramaki, — que ce soient, enfin, les élévateurs flottants ? En ce cas, on les a fait venir, en douce, tard dans la nuit, car personne ne m’en a parlé hier soir, nul n’a eu vent de leur arrivée possible, sans quoi, à l’heure qu’il est, ces quais seraient bondés de monde. Allons toujours sur le Danube. De là on pourra regarder de face. Et nous verrons alors si notre chasse tient encore debout ou bien s’il faut rebrousser chemin et courir… aux armes !

Le port était désert. De loin en loin, une sentinelle, baïonnette au canon, faisait les cent pas, somnolant tout en marchant. Sur quelque chaland, une pompe à bras vidait l’eau des cales au rythme de son harmonieux cliquetis. Partout, les feux