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de talent ! Mais quand s’est-il exercé au métier de journaliste ? Le voilà, d’un coup, en correspondance avec Constantin Mille, le propriétaire de deux grands quotidiens et l’un des hommes les plus influents du pays. C’est merveilleux !

— Ah ! — s’écria Anna. — C’est pour cela qu’il voulait, tout à l’heure, sur le boulevard, se jeter dans le Danube !

Max Thüringer écarquilla les yeux :

— Il voulait se jeter dans le Danube ? Mais il n’a rien fait de mal, au contraire ! Pourquoi vouloir se noyer ?

Anna fut confuse :

— Non ! Pas se noyer. C’était de bonheur.

— Eh bien ! se jette-t-on à l’eau, quand on est heureux ? Drôle de façon de manifester son bonheur ! Va lui dire que M. Bernard et moi, nous lui serrons les mains et le remercions du service qu’il vient de nous rendre. Et qu’il ne pense plus à se jeter dans le Danube !

Anna courut à la cuisine. Adrien était dans sa chambre. Il changeait de vêtements, pour aller chez Avramaki. Elle lui remit la lettre et, soudain excitée, le saisit dans ses bras et le baisa sur la joue. Lettre et caresse firent perdre toutes ses forces à Adrien. Il s’étendit sur sa couchette et ferma les yeux. Le voyant si passif, elle l’embrassa encore, et mieux, puis se sauva, telle une biche, épouvantée de son audace.

Adrien comprit, à la manière dont Anna lui avait remis la lettre, que ses patrons avaient tout deviné, mais cela le laissa presque indifférent. Même la lecture de la lettre, qui l’intriguait plus que tout, il l’oublia un moment, pour ne penser qu’au terrible sentiment que les baisers inattendus d’Anna avaient fait naitre en lui. Cette fois, le contact de son corps et surtout celui, tout nouveau, de sa bouche, ne lui transmirent plus le bonheur idéal de toujours, mais le brusque besoin de renverser Anna sur le lit et de faire d’elle ce qu’il avait fait de Julie.

« Et après ? se demandait-il. — Après, j’aurai deux Julie, mais plus de joie céleste ! »

L’idée qu’Anna même n’était au fond qu’une Julie, le jeta dans le désespoir. Que deviendrait-il le jour où le spectacle de cette beauté harmonieuse ne lui donnerait plus comme la jolie Hongroise que des envies charnelles ? Ce jour-là, non seulement