Page:Revue de Paris - 1932 - tome 6 - numéro 23 (extrait).djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un combat purement démocratique. Mille venait justement de créer un grand quotidien, Dimineata, où il prenait vigoureusement la défense de tous les opprimés. L’efficacité de ses campagnes contre le parti libéral, enrichi de transfuges socialistes, qui gouvernait alors, assurait à cet organe populaire une action sur les masses, toujours plus profonde.

C’est à la porte de Mille et de sa Dimineata qu’Adrien frappa avec tout l’élan de sa généreuse jeunesse. Dans l’article, il racontait, d’une manière alerte et juvénile, la lutte souterraine qui se livrait dans le port et qui allait éclater au grand jour. Prudemment, il mettait céréalistes et élévateurs hors de cause, s’attaquait violemment aux vatafs et démasquait l’attitude odieuse du gouvernement, qui se solidarisait avec ces derniers contre tout un peuple de six mille travailleurs et se préparait à chasser de Bralla le secrétaire du jeune syndicat, dont il donnait la photographie, accompagnée d’un émouvant récit biographique. Dans la lettre, il disait qui il était et priait le directeur de prendre la défense des ouvriers.

Les trois jours qui suivirent, il lui fut impossible de dormir et le quatrième, au matin, il faillit tomber mort de joie : son article, « Dans le port de Bralla », s’étalait en pleine première page, titre sur trois colonnes, la photo d’Avramaki au milieu du texte et, en bas, la signature Azog. Il n’eut pas la force de le lire. Il descendait avec Anne, le boulevard Carol pour aller au marché. Sans souffler mot, il plia le journal et le mit dans sa poche, mais son besoin de s’agiter fut tel, qu’il lança le panier en l’air, se mit à gambader, puis, revenant à Anna, il lui serra un bras au point de la faire crier.

— Qu’est-ce qui te prend ? Es-tu fou ?

— Non ! Mais j’ai une envie folle de me jeter dans le Danube et je ne puis pas le faire tout de suite.

Ils s’arrêtèrent pour se regarder l’un l’autre :

— Seigneur Jésus ! — s’exclama Anna. — Tu n’es pas comme de coutume ! Tu n’as pas le même regard !

— Sûrement, non ! Je vous ai dit que vous me donnez tant de bonheur, qu’un jour je serai capable de tout réussir. Eh bien, j’ai déjà réussi quelque chose. Et maintenant, si vous étiez une héroïne, vous me permettriez de vous mordre un pied !