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Adrien, ayant repris son métier de peintre en bâtiments, travaillait pour son compte depuis le début de mars, badigeonnant et peignant surtout des cabarets qui profitaient du chômage pour renouveler leurs salles. Comme la température, très basse, empêchant le séchage des couches de peinture, retardait le travail, il allait passer ses heures de liberté auprès d’Anna, qui était restée à ses yeux la même créature idéale, bien plus respectable depuis qu’elle souffrait d’une misère si noire. Toujours belle et voluptueuse, quoique plus maigre et triste, les visites du jeune homme, sa fidélité amicale la rendaient heureuse. Elle l’aimait maintenant aussi purement qu’il l’avait toujours souhaité. Leurs tendres rapports n’étaient même plus cachés à M. Max, qui participait souvent aux entretiens qu’ils avaient, le soir surtout, près du fourneau de la cuisine. Le doux Allemand adorait Adrien et, un jour, il avait dit à sa femme que, si la mort le surprenait, à présent il était heureux de savoir qu’elle aurait « un ami sûr pour la protéger », ce qui fit rougir Anna comme une jeune fille.

Mais Adrien préparait son âme pour de grandes épreuves. Décidé, l’automne dernier, à se consacrer au mouvement ouvrier de sa ville, il avait aujourd’hui complètement changé d’orientation. C’est que, durant l’hiver, des événements importants étaient intervenus. Dans le clan syndical, des propagandistes de Bucarest et des ouvriers de la ville même, l’avaient fait passer pour « un camarade incertain, prêt à tous les compromis avec la bourgeoisie, pour laquelle il avait de la sympathie ». Le comité local, composé d’hommes sérieux, avait été remplacé, avec l’appui du « Centre », par les individus les plus louches du port, des arrivistes dont le secrétaire-caissier mangea un jour la grenouille et dut être déféré à la « justice bourgeoise ». Adrien se convainquit que sa place, une place « totale » comme il l’entendait, n’était pas non plus parmi ces « frères de classe ».

Elle ne l’était pas parce que l’expérience douloureusement humaine qu’il avait vécue chez les Thüringer, l’avait fortifié dans sa conviction que la vie était trop complexe pour qu’il