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Adrien en fut surpris. La tribune ne les intimidait pas. Cependant, comparés à lui, ils étaient des ignorants.

Sur une proposition du père Stéphane, l’assemblée demanda à Adrien d’accepter le secrétariat de l’organisation. Il rechigna.

— D’abord, je m’en tirerais mal, puis il me déplairait d’être votre salarié. Toutefois, je passerai tous les soirs une ou deux heures à m’occuper des affaires du syndicat, ainsi que le faisait Avramaki.

La première semaine de grève prit fin dans le désespoir général. La maison Thüringer, à elle seule, avait six cargos qui stationnaient dans le port, attendant qu’on les remplît de blés. Quant à Carnavalli, accablé déjà de ne pouvoir charger ses navires, il venait d’être frappé par un autre malheur tout aussi imprévu : un télégramme lui faisait savoir que la cargaison de froment de deux bateaux arrivés à destination s’était moisie en route et n’avait pas été acceptée ; le client la refusait.

Du côté des travailleurs, le besoin de secourir la plupart des familles restées sans ressources obligea le comité de grève d’entamer les fonds déposés à ta caisse d’épargne. Mais chacun savait qu’on ne pouvait pas aller bien loin, avec ces fonds.

Telle était ta situation quand, le lundi suivant, les autorités, pour donner satisfaction aux exportateurs, firent mettre en marche les trois élévateurs, chaque machine travaillant sous la garde d’une compagnie de soldats. Maigre satisfaction et pitoyable résultat, pour les risques que cette audacieuse initiative comportait. Un élévateur chargeait quatre-vingts tonnes à l’heure. C’était la trentième partie de la capacité de rendement manuel du port. Au moment où la situation montrait clairement que ta totalité même de ce rendement eût été dix fois insuffisante, le travail des trois élévateurs ronronnants au milieu d’une soixantaine de navires aux abois faisait péniblement songer à un homme qui voudrait remplir d’eau un tonneau avec une cuiller. Les débardeurs s’esclaffèrent avec juste raison devant cette tentative faite pour les réduire à la merci de leurs adversaires. Or, précisément, les autorités avaient escompté un affaissement moral, puis la discorde et la défaite des syndicalistes.