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« ces manants du suffrage censitaire », ouvriers et armateurs se mettraient d’accord sans aucune difficulté. Que les autorités veuillent donc observer la loi. Chaque heure de grève, dans les conditions actuelles, ruine l’économie nationale.

Journal et affiches inondèrent la place du port. La fourmilière humaine les dévorait. Les premiers effets de cette vigoureuse campagne, qui s’annonçait riche de révélations désagréables, ne se firent pas attendre. On leva le siège du syndicat, dans la soirée même, et on libéra Adrien, tandis qu’Avramaki était, pendant la nuit, expédié dans son pays d’origine. Le lendemain, Dimineata fut arraché des mains des vendeurs. Et un grand meeting s’organisa tout seul, au siège du syndicat.

Adrien y parut, le visage tuméfié, et raconta, au milieu des hurlements de l’assistance, comment Avramaki et lui avaient été battus avec un nerf de bœuf, dans les caves de la police, durant les trois jours de leur détention. Le cordonnier ne pouvait plus se tenir debout, ses jambes n’étaient qu’une plaie hideuse. Il avait dû être transporté. Durant ces trois jours, on ne leur avait donné, pour toute nourriture, et à deux reprises seulement, qu’un morceau de pain sec et une cruche d’eau. Jour et nuit leurs bourreaux venaient, toutes les deux ou trois heures, les maltraiter et leur demander, en les menaçant de mort, d’avouer qu’ils étaient les complices de l’anarchiste noyé.

— Nous n’espérions plus sortir vivants des mains de ces brutes à figure humaine ! — conclut Adrien.

De nombreuses voix crièrent qu’il fallait « aller mettre le feu à la préfecture de police ». Adrien les exhorta au calme :

— Vous avez vu, — dit-il, — à quoi servent les violences. Ce pauvre anarchiste a donné sa vie pour ne récolter qu’une satisfaction mesquine, une détonation, mais il nous a livrés, nous, à la cruauté de la police.

Il exprima le souhait que l’organisation des ouvriers fût perfectionnée et annonça pour le dimanche suivant, l’arrivée des deux chefs syndicalistes Gorghi et Cristin.

Plusieurs ouvriers prirent la parole pour en appeler à la solidarité. Quoique débutants, ils firent preuve de dons oratoires remarquables, exposant clairement leurs droits et devoirs.