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— Qui est cet homme ? — demanda Avramaki, prenant sa tête à deux mains.

Les lumières tremblotantes des vaisseaux naissaient et mouraient dans l’onde, pendant que l’écharpe du fleuve et le sommet des saules blanchissaient de minute en minute. Dans le silence universel, la trompette du piquet des gardes-frontières sonna l’alarme. Peu après, un moteur se mit à vrombir et une chaloupe se dirigea, à pleine vitesse, vers nos héros, seuls visibles sur le Danube désert. Ils furent rattrapés et leur barque accrochée à la chaloupe qu’occupaient un sergent et deux soldats. Il faisait jour. Adrien et Avramaki semblaient pétrifiés. Le sergent sauta dans leur canot, qu’il fouilla du regard.

— Qui êtes-vous ? — demanda-t-il.

— Des chasseurs, comme vous pouvez voir, — répondit Avramaki, montrant son fusil à deux canons et tout l’attirail.

— Et cette barque vide, qu’est-ce ?

— Là, vous trouverez ce que vous cherchez, dit Adrien, mais l’homme qui était dedans s’est noyé. Il s’est jeté à l’eau, au moment de l’explosion, qu’il nous a déclaré avoir provoquée. C’était un anarchiste, que je connaissais.

Le sergent parut satisfait :

— Bon. Vous raconterez tout cela à la « Capitainerie » du port.

Une demi-heure plus tard, deux escadrons du onzième régiment de cavalerie occupaient tous les environs qui conduisaient aux élévateurs. Celui que Rizou venait de dynamiter n’avait que peu souffert, le pont seul était légèrement endommagé. Une population innocente qui, alarmée par la nouvelle de l’attentat, avait envahi le port, en souffrit davantage. Des policiers stupides et affolés la cravachèrent impitoyablement. Or, comme c’était dimanche, les gens se promenaient paisiblement. Des familles au complet, avec grand-mères, beaux-parents et mioches, allaient de bon matin voir « les élévateurs qu’un anarchiste avait noyés ». Naturellement, on affirmait cela avec beaucoup de sympathie pour l’homme et pour son geste, d’autant que Jean Rizou avait payé cet acte de vengeance de sa vie. Beaucoup furent déçus