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confonde avec eux. Le vataf sera ton grand cheval de bataille. Attaquer de front cette sangsue monstre du travail du port, c’est une œuvre que personne encore n’a osé entreprendre, vu la force politique que représentent les vatafs. Il est certain que cette offensive, menée courageusement au nom de l’idée socialiste, fera une profonde impression sur l’esprit du débardeur, homme méfiant qui sait depuis toujours que derrière chaque discours il y a une candidature à soutenir. Cette fois il s’apercevra que c’est une idée, non pas un « type », qui pose sa candidature. Je te donnerai des faits et des chiffres sur l’origine et la formation scandaleuse de quelques grosses fortunes des vatafs, ainsi que sur les mœurs de ces cannibales…

— Mais, puisque tu es tellement au courant, pourquoi ne parlerais-tu pas toi-même à ceux qui te savent des leurs ?

— Justement ! Les débardeurs n’ont aucune estime pour un des leurs. « Que sais-tu de plus que moi », te disent-ils. Puis je suis trop jeune, je n’ai pas de moustaches. Et ce sont des hommes d’âge mûr qui, à tout propos, ont l’habitude d’empoigner leurs moustaches et de te les montrer, en te disant que « les mioches feraient mieux d’aller téter que d’enseigner aux vieux comment ils doivent vivre ». Une autre raison qui m’empêcherait de leur parler, c’est que j’ai une peur mortelle de prendre la parole en public. Mon cœur s’arrête, quand je vois quelqu’un monter à la tribune. Je me demande comment ils font, ces orateurs, pour ne pas tomber morts au moment où on les annonce au public.

Il se leva pour partir :

— Maintenant je m’en vais ; il est tard, et mon état domestique m’oblige à être debout dès cinq heures du matin.

— À propos, — fit le cordonnier, — tu disais vouloir quitter cet état pour retourner au « barbouillage ». Eh bien, restes-y encore un peu. Il pourrait nous être utile. Tu seras notre homme dans le clan des machinations bourgeoises.

— Oui… jusqu’au jour où le clan aura vent de la chose !

Le lendemain soir, Adrien alla rue Plevna, où se trouvait le modeste siège du « Syndicat ouvrier mixte ». Une salle pas beaucoup plus grande qu’une chambre ordinaire, quatre bancs, une tribune enveloppée de drap rouge, les portraits habituels des fondateurs du socialisme et, peint à même le