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— Bon ! — dit le cordonnier. — Réfléchis ! Mais dis-moi, avant de partir, si tu es venu chez moi avec une idée précise, après m’avoir laissé pendant une année sans la moindre nouvelle de toi.

Le jeune homme releva sa tête, comme un vaincu :

Je viens t’apporter une nouvelle qu’il faut garder pour toi, momentanément. Tu connais les deux élévateurs sur rails qui sont dans les docks et qui soulèvent les blés des silos pour les charger sur des navires. On sait que ces machines font un mal énorme aux débardeurs, car, non seulement elles les remplacent par centaines, mais aussi elles déprécient la main-d’œuvre. Tu sais que, lors de leur première mise en marche, les ouvriers, pris de colère, ont failli les précipiter dans le bassin des docks, et que la répression de cette révolte a fait quelques veuves et plusieurs estropiés pour la vie. Eh bien, cette histoire va se répéter sous peu. Hier, grâce à une indiscrétion, j’ai appris que la maison Oléano et Cie de Hambourg, dont les frères Thüringer sont actionnaires, a expédié à Braïla trois élévateurs flottants. Leurs « coupes », au lieu de plonger dans le silo, descendent dans le ventre du chaland chargé de grains. Ainsi cette invention, après avoir soufflé aux ouvriers une bonne partie de travail dans les docks, va leur en enlever bientôt une autre sur le Danube. Et le sang va couler de nouveau.

Avramaki bondit comme une panthère

Voilà, voilà où tu es un excellent camarade ! Cette nouvelle vaut, pour nous, plus que mille discours du plus éloquent propagandiste. C’est nous, les socialistes, qui devons les premiers l’annoncer aux débardeurs, non point pour les inciter à jeter à l’eau ces machines diaboliques, mais afin de les organiser et de mettre un jour les élévateurs au service de la collectivité communiste, après avoir supprimé le capitalisme qui rend aujourd’hui funeste aux travailleurs toute conquête technique.

— C’est ce que je pensais moi-même. Je connais bien le mécanisme du travail dans le port et je t’initierai à cela. En parlant aux manœuvres, tu dois tomber sur le point sensible, car le débardeur méprise tous ces discoureurs électoraux qui n’ont cure de ses misères. Il ne faut pas qu’il te