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bourgeois, s’apitoyant sur le sort des armateurs et sur celui des vatafs, les uns et les autres menacés, paraît-il, dans leur existence, par votre subversive intention de défendre votre peau. Toujours est-il que ces armateurs et ces vatafs trouvent que leur vie commence à être dure. Cela me rappelle la fable suivante :

« Dans une écurie, et à la barbe d’une pauvre rosse, une voiture et un traîneau se plaignaient, comme des commères, de leur triste destinée : « Tout l’été, disait la voiture, je dois rouler par une chaleur qui me dessèche les entrailles. Je n’en peux plus ! — Moi, tu sais bien, surenchérissait le traîneau, je gèle d’un bout à l’autre de l’hiver, ahanant sur des routes impossibles. Ma vie est un enfer. — Sacrés misérables que vous êtes ! s’écria la rosse. Et moi donc qui vous traîne l’une et l’autre, été et hiver ? Que dois-je dire de mes pauvres os ? »

« Avez-vous deviné la morale, mes amis ? La voiture, ce sont les armateurs. Le traîneau, les vatafs. Et l’éternelle rosse, c’est vous ! »

L’imprévu de ce meeting fut, pour toute l’assistance, le chœur d’une cinquantaine de jeunes voix qu’Avramaki avait improvisé en moins de trois jours et qu’il fit paraître sur la scène, dans l’ébahissement général, à la fin de la réunion. Fillettes et garçonnets, les yeux naïvement suspendus aux lèvres du cordonnier, entonnèrent, avec un entrain qui mit tout le monde debout, l’Internationale et Frères soldats, ne nous tuez pas ! Dans leur enthousiasme, les débardeurs faillirent démolir la salle. Ils voulaient se précipiter sur la scène, pour embrasser les enfants, d’autant que les mamans syndicalistes, confondant cette manifestation avec la fête du couronnement du premier roi de Roumanie, avaient habillé leurs fillettes du splendide costume national aux riches broderies multicolores. Les regardant traverser le centre de la ville, en tête du cortège qui se forma tout seul dans la rue, le premier procureur dit au préfet de police :

— Allez commander aux soldats de tirer sur ces… « internationalistes » qui se parent du costume national et supplient qu’on ne les tue pas !

Cette affirmation fut illustrée d’un émouvant incident qui se produisit sur-le-champ. Un capitaine d’artillerie aux tempes grisonnantes et portant brassard de deuil, quitta brusquement