— Nous venons de jeter, monsieur le premier procureur, les bases du Syndicat des Travailleurs du port de Braïla. Voici le procès-verbal, signé par le comité et par moi-même, en qualité de secrétaire.
— Qui êtes-vous ?
— Avramaki Constantin, cordonnier, habitant cette rue.
— Vous êtes socialiste ?
— Oui.
— Vous irez demain, muni de tous vos papiers, au commissariat de votre circonscription, pour vous y faire connaître.
— Très bien, monsieur le premier procureur.
Le magistrat regarda le monceau de monnaie :
— Qu’est-ce que cet argent ?
La taxe d’inscription, qui sera déposée à une caisse d’épargne, au nom de trois hommes désignés par le syndicat. Du reste, nous aurons une comptabilité en règle.
— Et ces couteaux ? s’exclama le procureur, reculant un peu et regardant sous la table.
— Ce sont les couteaux qui vous donnent tant de travail, monsieur le premier procureur, et auquel les ouvriers, une fois syndiqués, renoncent d’eux-mêmes.
Cette réponse tomba bien. Les membres du parquet remontèrent dans leurs voitures et repartirent au milieu des cris de la foule :
— Vivent-les magistrats honnêtes ! Vive la Constitution !
Ce dimanche fut suivi d’une semaine lourde, orageuse, qui pesa sur toute la ville. Des le lundi matin, ceux qui connaissaient de longue date la physionomie coutumière du port vieux comprirent que le jour était venu de faire ses adieux à tout un passé de joyeuse tradition.
Un premier signe des temps à venir se produisit à l’aube, au moment de la formation des équipes. Les vatafs, mobilisés par l’épouvante du gros événement de la veille, décidèrent de « laisser sans pain », en les rayant de leurs listes de travail, tous ceux qu’on appelait désormais les « syndicalistes ».
— Si le parquet et les lois ne peuvent rien contre ces gueux, — disaient les vatafs, — eh bien, nous les aurons par le ventre !
Ils essuyèrent, promptement, un rude échec. On croyait les